Un appareil photo à la main, je me promenais dans une forêt plongée dans le brouillard. Une forêt de grand chênes courbés, tordus, âgés. Les arbres autour de moi apparaissaient ou disparaissaient suivant le sens de mes pas, de mon regard. Parfois le brouillard devenait si épais que les arbres disparaissaient presque totalement sous un voile de coton blanc. Derrière un de ces arbres, je rencontrais Josef. Il fallait s’approcher à les toucher pour voir les arbres, on devinait leurs pieds tout autant que les nôtres, les branches, les feuilles, tout le haut des arbres disparaissaient à nos yeux. Josef m’expliqua qu’il fallait poser la main sur l’arbre pour voir sa forme, la forme qu’il aurait une fois transformé en membrure de bateau, que ça se sentait avec les paumes, avec les doigts, pas avec les yeux et encore moins avec l’œil d’un appareil photo
Je savais que le soleil brillait au-dessus de la forêt, mais à peine quelques rayons arrivaient jusqu’au sol en évitant les feuilles, les branches, les troncs. Le sous-bois était sombre, frais, pas accueillant mais ouvert, disponible. Gilles sortait en tirant derrière lui un cheval qui trainait un énorme tronc tordu. Pour l’avant du bateau celui-là, encore deux et ensuite on aura fini le framing comme ils disent par ici. J’y retourne demain, il fera beau demain et l’arbre aura repoussé. Repoussé ? Ben oui, tu penses, je ne coupe pas les arbres, je prends juste leur ombre
Il faisait nuit, une nuit pleine d’étoiles et une nuit sans lune, je naviguais seule depuis un bon moment et la veille constante, une sorte d’attention plus intense à ce qui se passait autour de moi me fatiguais, je m’étais arrêtée dans ce petit mouillage abrité pour me reposer. Assise contre le mât du bateau, je regardais la mer, les vagues et leurs crêtes lumineuses, les étoiles, l’éclat du phare de Chausey, et le noir entre toutes ces lumières. Neige vint s’asseoir à côté de moi, elle sculptait une cuillère en bois. Tu ne vas pas te blesser avec ce couteau dans le noir ? Quand je sculpte des cuillères, ce sont mes mains qui savent, mes doigts, mes bras, mes coudes et mes épaules, mon dos. Pas mes yeux.
Je me réchauffais devant un feu de tourbe, une tasse de thé trop fort à la main, le goût âpre et presque désagréable était atténué par un nuage de lait. La pièce était petite, sombre et enfumée. La cheminée était un simple creux dans le mur de chaux blanche, noirci au-dessus du foyer, sur le haut d’une étagère presque vide, un bouledogue de bois veillait et mon grand-père assis juste à côté sur l’une des deux chaises de la pièce affutait un petit couteau à sculpture. Une ébauche de chouette tenait au creux de sa main.
Je me promenais sur la plage et le temps était gris, peut-être même qu’il pleuvait de cette petite pluie fine de la famille du brouillard. Je me promenais sur la plage mais en marchant si lentement que j’ai fini par m’arrêter et regarder la mer descendre. Je cherchais un caillou suffisamment plat pour pouvoir m’y asseoir. Je m’assis juste à côté d’Alba, ma poupée de petite fille et nous avons regardé la mer descendre, les vagues emmener, ramener, dessiner des formes dans le sable en se retirant. Alba me dit qu’elle venait là souvent en rêvant que peut-être, un jour, maintenant que le temps avait passé, la mer me rendrait ma mère qui devait me manquer comme moi je lui manquais.