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Le bout du monde est derrière la porte.

La fenêtre donne sur une vallée, les cimes sont baignées de brume. Le calcaire du baou est présent tous les jours, taillé à la serpe et déjà découpé par le couteau du temps. Présent tout le temps, sur une de ses faces, le château de la Reine Jeanne. Et puis un pont depuis longtemps en ruine, brisé par le centre, on ne sait pas son origine, mais celui qui pose son regard sur ses arêtes, sent en lui quelque chose l’appeler un moment, si le regard se fige en cherchant à joindre les morceaux du pont. Il devine que cette facture dans le paysage est aussi une fracture dans le temps. Une seconde, il croit ressentir un autre monde, qu’il voudrait saisir par des mots, mais aussitôt, il s’arrête sur ce vain espoir. Non, il est devant le même paysage et il n’entre pas ailleurs dans une autre dimension. Mais il est tout de même, au bout du monde. De ce monde, ici, il lui reste la sensation fugitive d’être arrivé près d’un but, les arbres desséchés indiquent la saison. Le froid, le ciel immaculé par le vent d’ouest rendent les ombres possibles. En bas, dans la vallée, les terrasses sorties des carrières du temps tentent de conserver une structure à ce cirque de pierre. Ce paysage à étages ne se livre pas tout de suite, le regard se heurte sur ces hiéroglyphes de pierre, quand il veut déchiffrer le jadis sous les ombres du soir. Il y devine les lignes de force, des points de fuite supposés vers des chemins hypothétiques. Une masse de pierre desséchée, une arche, une sorte d’igloo pour les bêtes et les hommes en été, un pont entre le ruisseau maintenant effondré gagné par les ronces et l’autre rive devenue imaginaire qu’un marcheur s’amuse à contourner comme on contourne un pylône ou une citerne. Les dessins du sentier vers le gouffre ou le ravin sans autre intervention humaine, ni avertissement que le vent arrivant en colonnes têtues dans les arbustes cramoisis par le gel, les chaleurs excessives et la marche des troupeaux dont c’est le passage, en période de transhumance font plier la terre, jusqu’à ce qu’elle devienne plus loin, en bas, une crique, un bassin, oublié et perdu dans la mer; bout du monde multiplié et diffracté dans la transparence de la mer, un kaléidoscope et ce simple geste : s’arrêter pour traverser ce miroir d’écume, de brume et de lumière à l’envers du monde. Là, les bouts du monde co-existent en une multitude de points secrets, cachés se drapant les uns les autres pour protéger leurs mystères.

Terres

ST1 Le sentier de terre sèche des cailloux pointus, le duvet de la mousse à même la terre, et dans le carré du potager, la terre meuble, épaisse presque noire, pleine d’eau, d’oligoélément, la terre à prendre à pleine main à côté la terre presque poussière sur les terrasses, toute sorte de terres, et les arbres, buissons, légumes comme l’image de ces terres, la terre est nourrie, elle nourrit sur toutes sortes de terres, quelque chose s’accroche, on fore la terre, on met des pelletées de terre dans une brouette, on rempli de terre des pots en terre, on casse aussi un morceau de pot en terre, une terre de sienne, et ce pot fait de terre est remplie d’une terre de couleur similaire, oxydée, la terre est nourrie de quartz régénéré. Au milieu, les apparitions des racines traversant à la recherche de la source.

ST4 Mines : d’où l’on extrait – Plaque tectonique : mouvement – Météorite : chute

ST2 Retournement arrachage des morceau de terre jetés par l’averse terre grises des reflets des nuages terre nue terre liquéfiés terre humeurs de la terre bout de terre  attendant la rotondité de la terre morceau arraché au bloc aux strates de la terre carreau de terre isolé de l’horizon terre solitaire cherche à retourner à la terre surprise par le quotidien éboulement de ses bords sur le sentier elle se referme sur elle-même terre compacte faite des alluvions charriés terre fabriquée constituée de strates terre et roc dans le temps.

ST3 Dévalant la terre passant par les mêmes sentes des terres, dévalant comme elle, par éboulis – tomber à terre et se retrouver dans la même position que le fœtus, comme les ensevelis de Pompéi, eux-mêmes ensevelis de terre en fusion, et terre sous-marine, recouverte d’algues, toucher la terre du fond des mers, terre lunaire avoir envie de toucher la terre de lune, alunir, en terre astrale, puis retomber sur terre.

Porte

Je franchis le pas de la porte et une musique passe au-delà des murs – passe je me dis, passe et la musique plus envoutante encore et têtue, appelle, je referme la porte, elle se tait, au fond une autre porte – passe je me dis, passe – tu trouveras le souterrain sans fond des souvenirs enfouis et comme cette mélodie, les souvenirs tapent au fond du cœur et du regard, cherchent à emprunter un passage : c’est une phrase, un son, qui veut prendre l’espace du dedans et je passe et franchit une autre porte, pendant qu’au même moment un songe, une demi phrase, une ébauche d’un autre lieu cherche aussi la porte de la conscience – passe je dis, passe – le rêve de ce lieu, entre et tu pressentiras le lieu ou celui ou celle qui se tient derrière la porte , qui est-il ? Un messager qui se tient là portant cette lumière, étant cette mélodie, je tends la main pour saisir un peu de cet air mais il s’échappe, je siffle un peu, derrière il y a ce jardin, ces êtres formés de cette lumière et de ce son, ils viennent à ma rencontre dans une grisaille matinale, ce sont les ombres blanches peuplant les nuits de ceux qui partent irrémédiablement. Cela diffère peu des souvenirs ils ont pourtant la même texture, la même tranquille existence, le même envoutement silencieux, ils étaient là de tout temps, ils ont occupé tout l’espace d’un sourire, illuminés le temps puis se sont évaporés, le souvenir et le rêve se confondent dans la même immensité, derrière la porte des yeux clos ou ouverts.

La peur

Ici nous voyons son visage, le visage de ce comédien dans une séquence de film. Il regarde, il voit quelque chose que personne d’autre n’a vu … et que voit-il ? on dirait qu’il va entrer dans une autre dimension, on pense que c’est ça, la peur – une peur au-delà de toutes les peurs, une terreur absolue, entrer dans la dimension comme si d’ici , il n’y aurait pas d’autres motifs, mais cette peur-là, pourquoi serait-elle plus intense que les autres, qu’il contemple le vide ou une apparition, le fait de ressentir une telle peur au-delà de toute possibilité d’expression verbale, est on dirait, ce qui caractérise la peur – autre chose que l’angoisse, l’angoisse aussi – une autre forme de la peur. Changeons de point de vue et regardons une image suscitant la peur, le narrateur, peut en faire la description, il peut énumérer ou faire le récit de la peur possible du personnage, on sait maintenant de quoi il a peur précisément, non comme dans la première séquence. Il voit une scène où des carcasses de voitures sont entassées sous des blocs de ciments, cette poussière ressemble a de la neige, le ciel est blanc de cendres, les carcasses de voitures sont fantomatiques. La peur devant l’absolue dénégation, devant l’absolu refus de toutes transformations, saisi dans sa peur, il craint le changement et il craint l’immobilisme, il a peur du sommeil et il peur de l’éveil, il a peur des autres et il a peur de lui-même, dans l’absolue nécessité d’agir pour fuir la cause de sa peur, il peur des causes de sa peur et il a peur des conséquences de sa peur : sa peur l’enferme. Dans la peur, il ne voit plus le visage de l’autre, la peur est une sorte de creux perdu, d’où seulement un cri sort : mais le visage de l’autre est absent, il n’a plus de nom.

Tenir tête

Covid —Masque— vaccin—menace nucléaire —achat de combinaison antinucléaire + masques + chaussons + charlottes — faire de la biologie moléculaire (MOOC) — consulter des manuels militaires — menace existentielle — tenir tête à la Bombe —compter les secondes à rebours — la Bombe — le discours d’Einstein à la Société des Nations —La bombe — la crise de Cuba — La bombe — une trahison — Trump — couper les crédits — angoisse des scientifiques — Trump — L’Amérique n’est plus ce qu’elle était — manipulation —propagande — Napoléon — Napoléon avait la Bombe ? —tenir tête au chantage —  D’accord — escalade des tensions — comptage des ogives — guerre froide —guerre chaude ? — Tenir tête à la Bombe


Le cri

Magma et entrailles de la terreur, terreur et d’où s’échappe la lave, le premier cri, et en remontant l »espace du passé, les civilisations et les plaques tectoniques, mais le cri vient plus tard, le cri est la prise de conscience d’un désastre, le cri et la conscience du cri : le cri, ce cri est muet un cri sans voix, sans armature ni gréement un cri sans voile, un cri au-delà du silence, un cri non transposable, crier d’horreur devant le miroir menteur crier dans le silence un silence plus lourd, qui de racines, cri des racines au sommets des arbres, cri immobilisateur de la conscience, cri de la bête : en criant te revoilà bête, pris au piège d’une lumière trop intense pour toi qui pourrait te désintégrer. Cri au-delà de la lumière au-delà du son et des mots : voilà une image de l’horreur. Je ne crie pas : le hurlement muet maintenant m’enveloppe dans son manteau de songes, la barque est prête doux apaisement que la vision du lac ou du fleuve des brumes pour un ultime voyage : le dernier cri : la mort. Si la mort est là ce serait le cri de la mort.

Masques

Bec griffe l’ombre d’un nez la sauvagerie de l’œil en dedans esquissé sourire mêlé d’eau, de crevasse, de roche, de la peau –  immobilité de la mort, visage surgissant au dedans visage qu’il broie sortie d’une matière informé et sans couleur la moitié du visage laissé à reconstruire – tout reconstruire après-  qu’il faut reconstruire au dedans – laissé un vide dans l’espace le haut du visage surplombant les lèvres posée à même la surface lisse et dans le reflet incommensurable se mesurer aux étoiles leur laissant une part neuve : voilà il se peut qu’il ne se regarde pas dans le miroir qui lui renvoie des ailes d’un oiseau poussant un cri, celui qu’il voudrait pousser pour une migration géométrique au-delà des nuages, et la part manquante visage vu de profil et manque déchirement sur l’autre face. Face plein et face vide comme le chaos du monde. Visage, ce visage est une idée qui porte un masque saisie une stance d’hébétement, un visage différent de ces visages connus portant la même peur. L’oiseau est toujours là, sachant quoi faire. Son visage est arraché, arraché à soi. Plus de regard. Visage vide de regard.                                                   


3 commentaires à propos de “BOOST | # 00 # 01 # 02 # 03 # 04 # 05 # 06”

  1. #11 | Terriblement troublant ce territoire où ce feuilleté d’espace et le temps naît sous nos yeux, tellement là reconnaissable et pourtant onirique et oui, déboussolant.

    • Bonsoir, l’idée était se perdre le plus possible.. avec frissons si possible!!! merci pour ta lecture.