Boost #11 bis | Au bord

Dans le lointain de la nuit, des lueurs pâles et rondes étaient apparues. Un groupe de filles aux jambes longues arrivaient. Elles portaient dans leur ventre un disque de lumière argentée. Il tanguait au creux de leur bassin tandis qu’elles progressaient dans un roulement de hanches.

Affolées par les chiens, nous courions vers une haute esplanade, nous accrochions et nous hissions, plongions dans l’épaisseur d’une couverture de feuilles de lierre, trébuchions sur les lianes puissantes. Je pris ta main. Toutes deux nous avancions dans l’étendue vert-bleu lustrée comme on avancerait dans les eaux grises de l’océan. Je m’approchais de toi et murmurais, l’île. Nous ne bougions plus.

C’est alors que tu me montras les filles, elles marchaient sur la terrasse sale, les pieds pleins de sable et les cheveux mouillés, tu chuchotais : c’est elles qui ont avalé la lune.
Au bas de l’esplanade, elles s’étaient arrêtées, face à nous. Elles avaient déposé sur leur langue quelques grains de gros sel sortis de leurs poches. Le sel faisait affluer la salive, un nectar qu’elles laissaient monter et pétrissaient au creux de la langue, une pelote qu’elles mâchaient longuement. 
Certaines d’entre elles ouvrirent les bras vers le ciel et se mirent à danser. Elles se déhanchaient, ondulaient, battaient le sol d’une cadence sourde. Sous l’effet des trépidations, la lune qu’elles portaient en elle diminuait, se condensait et se fondait dans l’ovule vibrant. 
Les autres filles continuaient à mâcher la pelote. Leurs joues se gonflaient. La lune brillait toujours dans leur ventre. Soudain, d’un seul élan, elles crachèrent sur nous une pluie de noyaux blanc argenté. 
La nuit retomba.
Une vague marine souleva l’épaisseur de lierre et vint déposer à nos pieds une frange d’écume.

A propos de Aline Chagnon

Ce qui me passionne dans l'écriture, c'est l'expérience, le chemin.