Au village quand nous descendions chez Jeannette le dimanche pour le goûter de pain perdu
Le dessus de table à carreaux, les bols à oreilles bleus, le pot de crème et le lait chaud
La Singer qui dort
Ta blouse à la patère : Jeannette, ta robe de dessous et de dimanche faite à la même machine qui dort : peignoirs, combinaisons, fonds de robe, toutes les commandes de la semaine dans leurs housses
Le dimanche
Des découpures de soie comme des épluchures précieuses sous la table aux bols bleus ; coupures effilochées qu’on coudra en drapeaux aux bras de l’épouvantail, ou, fichus de poupée
Jeannette qui nous montre à coudre ce dimanche, les quatre qui sentons le cheval et la cire à cheveux
Le battit fait des plis
Le tissu frise
La soie crisse
Mon aiguillée de paresseuse
Ta patience de dentelière
Ta patience de dentelière
Ta patience de dentelière
Jeannette quand tu fais glisser le pain perdu dans l’assiette et verse le lait à peau encore chaud dans les bols ; une mèche retombe, accroche ton front ; ta chaine de communion pend, au cou, la croix perdue
Tes quarante ans quand nous descendions Jeannette le dimanche les quatre un peu débarbouillés
La peau du lait dans les bols bleus à oreilles : dix avec Christine; Christine du garage Peugeot au tournant : le pain perdu dans ses doigts gourds
Pigeot son père qui a servi du vin longtemps et vend de l’essence à présent
Ses jantes rutilantes quand il passe
Le coup de klaxon devant chez Jeannette
Le dimanche
Les sucres en canard de Christine, son pull qui sent le lait régurgité du dernier, et l’essence : le goût de ton baiser à peau de lait sous l’escalier Christine.
Christine tour à tour fille et garçon
Chez Jeannette le dimanche
Jeannette à la fenêtre dans sa robe fleur
Le vent qui la met en fouillis
Le duvet de sa lèvre et celui de sa peau couleur de lait en contre-jour
Au coup de klaxon
Jeannette qui frémit
Le dimanche
Le duvet de sa lèvre mais la moustache de Marcelle; Marcelle qui revient des clapiers avec les œufs . Les trois poules de Marcelle qui pondent au lit des lapins morts ; la vache Orpaline qui meugle à cinq heure
Le pot à lait
Le seau qui pue
La sciure aux galoches de Marcelle
Marcelle qui vérifie l’horloge quand elle entre et pose les œufs
La battue nette de l’horloge qui pique et coud un autre temps
Chez Jeannette
Le dimanche
Magnifique
Admiratif je suis. Cette si complexe #12, vous en faites, Nathalie, une rivière où le présent s’écoule, nous emporte comme le vent « met en fouillis ». Admirable. Merci Nathalie.
C’est simple et beau, bravo.
Tellement doux et tendre et vrai. Merci de nous y avoir emmené chez Jeannette avec ces infimes détails qui te semblent encore si présents. Ce toucher rendu si bien, soie et peau, duvet… Merci, Nathalie.
Tellement doux, on aimerait bien la connaitre cette Jeannette, cet univers de couture nous ramène loin dans le temps, ça me rappelle aussi des souvenirs, magnifique !
Je retrouve cette arythmie si présente chez Micolet qui donne son relief à la simplicité évoqué. Vraiment étonnant et si joliment déclinée. Merci Nathalie.
Merci Natacha, Ugo, Laurent, Anne , Carole, Jean-Luc pour vos retours
C’est ta Jeannette qui a déclenché l’écriture, un autre temps, merci.
Merci pour Jeannette qui a sa tombe au cimetière qui penche .