#boost #12 | chez Jeannette le dimanche

Au village quand nous descendions chez Jeannette le dimanche pour le goûter de pain perdu
Le dessus de table à carreaux, les bols à oreilles bleus, le pot de crème et le lait chaud

La Singer qui dort

Ta blouse à la patère : Jeannette, ta robe de dessous et de dimanche faite à la même machine qui dort : peignoirs, combinaisons, fonds de robe, toutes les commandes de la semaine dans leurs housses

Le dimanche

Des découpures de soie comme des épluchures précieuses sous la table aux bols bleus ; coupures effilochées qu’on coudra en drapeaux aux bras de l’épouvantail, ou, fichus de poupée

Jeannette qui nous montre à coudre ce dimanche, les quatre qui sentons le cheval et la cire à cheveux

Le battit fait des plis
Le tissu frise
La soie crisse

Mon aiguillée de paresseuse

Ta patience de dentelière
Ta patience de dentelière
Ta patience de dentelière

Jeannette quand tu fais glisser le pain perdu dans l’assiette et verse le lait à peau encore chaud dans les bols ; une mèche retombe, accroche ton front ; ta chaine de communion pend, au cou, la croix perdue

Tes quarante ans quand nous descendions Jeannette le dimanche les quatre un peu débarbouillés

La peau du lait dans les bols bleus à oreilles : dix avec Christine; Christine du garage Peugeot au tournant : le pain perdu dans ses doigts gourds
Pigeot son père qui a servi du vin longtemps et vend de l’essence à présent

Ses jantes rutilantes quand il passe

Le coup de klaxon devant chez Jeannette

Le dimanche

Les sucres en canard de Christine, son pull qui sent le lait régurgité du dernier, et l’essence : le goût de ton baiser à peau de lait sous l’escalier Christine.

Christine tour à tour fille et garçon

Chez Jeannette le dimanche

Jeannette à la fenêtre dans sa robe fleur
Le vent qui la met en fouillis
Le duvet de sa lèvre et celui de sa peau couleur de lait en contre-jour

Au coup de klaxon
Jeannette qui frémit

Le dimanche

Le duvet de sa lèvre mais la moustache de Marcelle; Marcelle qui revient des clapiers avec les œufs . Les trois poules de Marcelle qui pondent au lit des lapins morts ; la vache Orpaline qui meugle à cinq heure

Le pot à lait
Le seau qui pue
La sciure aux galoches de Marcelle

Marcelle qui vérifie l’horloge quand elle entre et pose les œufs

La battue nette de l’horloge qui pique et coud un autre temps

Chez Jeannette

Le dimanche

A propos de Nathalie Holt

A commencé en peinture, a vécu de théâtre et d’opéra, des années de scénographie plus tard ne photographie pas que son lit, tient son journal en images, écrit et marche chaque jour a publié un peu pour aller au bout d’un geste ( Ils tombaient ) ( Averses) https://www.amazon.fr/stores/author/B09LD7R2KY . Écrit pour lire.

9 commentaires à propos de “#boost #12 | chez Jeannette le dimanche”

  1. Admiratif je suis. Cette si complexe #12, vous en faites, Nathalie, une rivière où le présent s’écoule, nous emporte comme le vent « met en fouillis ». Admirable. Merci Nathalie.

  2. Tellement doux et tendre et vrai. Merci de nous y avoir emmené chez Jeannette avec ces infimes détails qui te semblent encore si présents. Ce toucher rendu si bien, soie et peau, duvet… Merci, Nathalie.

  3. Tellement doux, on aimerait bien la connaitre cette Jeannette, cet univers de couture nous ramène loin dans le temps, ça me rappelle aussi des souvenirs, magnifique !

  4. Je retrouve cette arythmie si présente chez Micolet qui donne son relief à la simplicité évoqué. Vraiment étonnant et si joliment déclinée. Merci Nathalie.