#boost #12 / Micolet / Chez Éric ou bien Chez Julia ?

Codicille : exercice difficile je ne sais si je suis entrée quelque part… chez Éric ou chez Julia 

Chez Éric ?
Non, avant.
C’était chez Julia. Oui, c’est ça.

Le taureau comme signe.
Un taureau
à Montfuron,

pays des moutons
et des pignons —
menu provençal promis.

À notre palais urbain,
à notre palais rustique,
à nos palais qui cherchent encore.

On descend
les marches en pierre
fendue,

pour ne pas se cogner
la tête —
voûte basse,

cave vieille
de plusieurs siècles,
restaurée en restaurant.

Odeur de thym dans les pierres,
mobilier rustique,
bois de chêne vert.

Ils poussent
comme les petits pains
de la multiplication

— ou les souvenirs —

de table en table,
les voix
montent

comme la conduction de la chaleur des plats
dans les nappes à carreaux
et les verres humides.

Julia rit,
non
c’est quelqu’un d’autre ?

Un regard,
un taureau sur l’étiquette
de la bouteille.

AOC.
Montfuron rouge.
Ne pas trop en boire.

La voûte tangue.
Tu te souviens ?
Moi, non.

Juste
le bois
contre la joue.

Une pierre
froide,
sous la main.

Et cette voix,
loin
qui dit encore :

tu sais,
c’était avant.
Chez Julia.

Chez Julia,
c’était haut,
oui —

vue large,
le ciel piqué
d’antennes et de martinets.

Des collines à perte d’œil,
le vent dans les oliviers,
des pins noueux comme des veines.

Le soir
s’étirait
dans les pierres chaudes.

On voyait loin,
au-delà du champ,
le Luberon comme un silence.

Parfois des brebis,
des cloches —
et rien d’autre.

Puis —
plus tard, peut-être des étés après —
c’est devenu chez Éric.

Chez Éric,
la vue bute
sur une haie bien taillée.

Un carré d’herbe,
de la glycine en pot,
un parasol replié.

Le ciel passe entre les immeubles
qu’on dit bas
mais qui coupent tout.

Plus de collines,
plus de vent —
juste l’odeur de la piscine voisine.

Il y a une terrasse,
des guirlandes LED,
des coussins à motifs bleus.

Une propreté nouvelle,
un calme climatisé
qui ne s’ouvre sur rien.

On ne voit plus
le Luberon,
ni les moutons.

On dit quand même
que c’est joli,
que ça repose.

Mais la lumière
ne traverse plus les murs
comme chez Julia.

Tu te souviens ?
Là-bas,
tout tremblait un peu.

Même nous.

Pas le même vin,

Mais le vin est bon,
le rosé très frais,
et Éric a mis du jazz.

pas le même bois,
mais les mêmes rires,

différents.
Une lumière plus droite,
un rideau jaune.

Julia n’était plus là,
ou pas encore revenue.
On disait :

tiens,
tu te souviens de Montfuron ?
Des pignons ?

Éric souriait.
Il n’avait pas vu le taureau,
lui.

Mais il y avait
un chat gris
et du basilic sur la table.

5 commentaires à propos de “#boost #12 / Micolet / Chez Éric ou bien Chez Julia ?”

  1. C’est extraordinaire ! Lire cela au réveil, venue chercher exemple et confirmation avant d’envoyer le mien. Cet imparfait languissant et nostalgique, ce martelé doux à cause de toutes ces coupures qui n’en sont pas, ces deux tableaux mis en opposition par des détails ou des phrases prononcées, quelle merveille ! Enchantement. Donnez encore du difficile à Raymonde… Merci vraiment, chère Raymonde.

  2. Anne merci, te lire ce matin, comme un calme après une tempête, ça fait du bien… à tout soudain

  3. Si colorées ces touches de peinture (le pointillisme littéraire, ça existe ?), avec ces vers si étonnamment rythmés. La trace qu’ils laissent dans leur sillage me remplit de bienêtre. Si beau texte. Merci.

  4. Merci Raymonde, chez Julia, chez Eric, Le Lubéron, pure poésie, j’aime.

    • Merci Clarence pour la poésie pour moi une forme d’esthétique à laquelle je suis profondément attachée au quotidien, une valeur sûre…