#boost #13 / Becket / me te se… je tu il… parle

Allongé. Encore. Le dos au drap ou le drap au dos peu importe, à quoi bon distinguer. Rien ne bouge sauf ce qui ne peut s’en empêcher. Les paupières parfois haut bas ça passe le temps. Ou l’illusion. Le noir le presque noir puis encore plus noir. Et puis pas. Un soupir sans souffle de dedans pas tout à fait pensé pas tout à fait émis. Pas de lumière sauf celle qui ne vient de rien. L’œil gauche cligne seul puis l’autre. Solidarité. Corps muet corps las corps là.

Une voix. Pas la sienne. Lointaine. Réelle peut-être. Ça parle. Des mots ? Peut-être pas. Plutôt des pas de mots des ombres de mots. Elle monte et descend la voix une pente douce vers le sens puis chute. Rire peut-être. Ou menace. Ou un chien. Ou tout à la fois. Il ferme les yeux. Il les ouvre. Il ne voit pas. Tant mieux. — C’est moi ? — Non. —  Alors qui ? — Tais-toi. — C’est encore moi. — Justement.

Un dialogue qui ne se décide pas. Le dehors entre en lui par les oreilles et ressort par la bouche intérieure. Le plafond respire ou alors c’est sa poitrine. Mais il ne respire pas. Pas vraiment. Juste le mécanisme. La pompe à rien. Un souffle sans intention.

Le bras gauche picote. Le coude proteste. La jambe droite s’enfonce dans le matelas ou le matelas monte vers elle. Le ventre fait un bruit d’animal. Ce n’est pas lui. Mais c’est dedans. — Tu m’entends ? — Oui. — Alors pourquoi tu ne réponds pas ? — Parce que je parle.

Rire. Le leur. Le sien. Celui de la voix. Dehors quelqu’un dit quelque chose. Le mot ombre ou honte ou on rentre. Il n’est plus sûr. Il n’a jamais été sûr. Il entend. Pas toujours. Et puis il comprend. Trop souvent. L’inutile le vide le tout de travers. C’est ça qui lui parle. Qui l’appelle. Qui le tire vers l’écoute.

Le pied droit glisse, tout doucement, à peine. Une caresse au drap. Un adieu. Il se sent partir. Mais il reste. Comme toujours. Ça part, mais ça reste. Ça part en lui vers le fond vers le trop bas. — Il fait nuit ? — Oui. — Et si je fermais les yeux ? — Tu les as déjà fermés. — Et si je les ouvrais ? — Trop tard.

Tête trop lourde pour les pensées. Pensées trop molles pour la tête. Tout se mélange. Il entend son nom. Peut-être. Il croit. Il veut croire. Il imagine. Ce n’est pas mieux. Ce n’est pas pire. C’est là. Une main imaginaire touche son front. Ce n’est pas la sienne. Ce n’est pas une main. C’est une idée de contact. Une mémoire de contact. Le souvenir d’un souvenir. Déjà flou déjà faux.

Il veut se tourner. Mais non. Il ne veut pas. Il veut vouloir. Mais ce n’est pas encore l’heure. S’il y avait une heure. Le tic-tac est mort depuis longtemps. Et pourtant tout continue de battre. Dedans. À côté. En dessous. — Tu dors ? — Non. — Tu veux dormir ? — Non. — Tu veux quoi alors ? — Rien. — Tu mens. — C’est possible.

Silence. Puis le retour du bruit. Lointain. La voix. L’autre. Dehors. Une femme peut-être. Ou une radio. Ou lui. Encore. Il ne sait plus. Il ne veut plus savoir. Il écoute. Il s’écoute. Il se mêle. L’intérieur répond à l’extérieur sans se consulter. Ils font corps. C’est le corps. Tout le corps. Une oreille dans le ventre, une bouche dans la paume, des yeux dans la nuque. Ça pense partout. Et ça dit.  Assez.

Mais ce n’est jamais assez. Alors il reste. Étendu. Ouvrant. Fermant. Un œil. L’autre. Une vie. Puis plus rien.

Puis encore.