Assise sur la chaise bien tranquille, au repos, mains détendues comme coquilles enveloppant les genoux, le regard content vogue du papier peint façon Liberty au semainier bois de rose puis au grand lit drapé de bleu un peu en arrière arranger un peu les choses, concevoir l’avenir des choses, déplacer ce tableau-là fixé trop bas ou trop haut trop à gauche ou à droite, des plans s’échafaudent, pour finalement plonger dans la mousseline des rideaux et la traversant, atteindre ces laiderons de thuyas, envie de les raser, les lèvres soudain sourient, le seul bémol entre eux étant les thuyas, son regard s’enfuit vers les buissons de « Cuisse de nymphe émue » couleur des baigneuses de Fragonard, source d’une infinie satisfaction comme leur parfum charnu. Assise encore sur la chaise tourner la tête vers le téléphone à gauche, se lever alors lentement, pivoter précautionneusement, attraper le combiné, les lèvres remuent, le regard glisse au sol, patine un peu sur le parquet, la main droite bouche l’oreille droite, la main gauche essuie la poussière sur la cheminée puis son tablier, s’immobiliser alors, frapper du plat le marbre, lèvres serrées puis grandes ouvertes et déformées. Reposer le combiné…
Comme l’image arrêtée d’un film, ne pas entendre les cris d’enfants venant d’en bas au-delà de ces foutus thuyas raides comme la justice ni le bruit sourd du ballon qui cogne contre un mur. Apercevoir en contrebas le chat se frotter le dos à un thuya puis prendre la pose digne et sévère, regard droit devant. Un bout de fesse sur le coin de la chaise, dos décollé du dossier, la respiration courte, droite, raide, jambes en équerre, mains nouées l’une à l’autre, regard vers la fenêtre au travers du voilage, les hideux thuyas qui bloquent l’espace sous un ciel bas plombé, se voir bouger ne pas bouger, s’entendre parler ne pas parler, s’entendre hurler ne pas hurler, juste serrer les poings malgré soi, tension signalée par l’ankylose, les relâcher. Droite donc et raide sur le bord de la chaise. Pétrifiée. Les lèvres mâchant le vide on dirait mais immobile toujours, yeux dilatés fixes traversant le voilage jusqu’à ces foutus thuyas qui montent bêtement la garde contre quoi ? Contre soi. Imaginer les coups de sécateur, mais ne pas bouger, juste un peu les paupières, juste un peu les lèvres qui se serrent, qui remuent et soudain cessent. Le chat gratte la terre au pied du thuya, le menton se lève, la tête pivote vers le grand lit 160 drapé bleu et le cerveau vient y déposer au mitan le souvenir de lui dormant, bouche entrouverte, traits détendus comme jamais, visage de garçonnet bien sage jamais vu de jour, le visage rajeuni du sommeil et comme deux corbeilles ses paupières déposées par-dessus les yeux tranquilles enfin, rendant son vilain ptosis invisible, et le crée à l’envi ce beau visage de garçon sage tout en se souvenant des ronflements tonitruants sortis de sa bouche qui lui interdisaient le sommeil, ce bruit de machinerie issu de ce beau visage d’enfant calme la faisait rire alors, l’imagination le redessine sur les draps bleus alors que le ciel a viré nuit et le soleil pas vu du jour désormais enfoui dans les thuyas honnis menacés par un gros désir de tronçonneuse dont l’évocation du bruit énorme et destructeur semble tellement jouissive. En fait, n’a pas bougé, juste la jambe comme autonome lancée loin de la chaise et revenue à sa place, les bras ankylosés de nouveau, les ongles cisaillant au sang les paumes, relâcher les poings et alors sentir la douceur de la détente dans les phalanges blanchies, observer les ongles rougis et porter le regard vers la photo sur le marbre de la cheminée à gauche, le ramener face fenêtre les lèvres remuantes et grimacières et la paupière gauche tremblant un peu. Assise un peu voûtée, poings serrés de nouveau dans la pénombre de la chambre vide dans la maison vide face au rectangle plus clair de la fenêtre et dans les carreaux du bas la masse sombre des thuyas plongés dans la nuit que le regard perfore au travers de la mousseline, leur ombre persistante plus noire que la nuit même. Y mettre le feu et à tout le reste
Merci. J’aime le discret crescendo jusqu’à la chute, brutale, et assez jouissive.
merci beaucoup Natacha
Genèse d’un incendie, les flammes comme la nuit pour effacer la vision. L’idée est belle et les thuyas ont disparu. Merci.
merci à vous de cette lecture
Le rude le terrible (et le doux : la lumières des baigneuses « les paupières comme des corbeilles » ) tout ce qui passe dans une tête au soir du soir : « Concevoir l’avenir des choses », retrouver , imaginer . La violence sourd dans cette immobilité crépusculaire. Faire face et foutre le feu. J’aime ta façon de faire tenir et monter la tension.
grand grand merci Nathalie mais pas atteint les 4900 de rigueur 😉
Quelle chute ! Et oui ce crescendo qui prend au ventre. J’aime beaucoup le déroulé, visuel voire cinématographique
merci beaucoup Perle