Je suis retourné place Saint-Sulpice (7). C’était le 7 septembre dernier, un dimanche, aux environs de 12 h 50. Il faisait beau et chaud (17). Vers les 28 °C, je n’ai pas de thermomètre, mais je dirai ça. Je me suis assis sur le banc à côté du café de la Mairie (15). Il y avait du monde en terrasse. Trop de monde. Normal, c’était un dimanche et il faisait beau et chaud (19). J’ai sorti mon carnet (8,9) et je me suis mis à écrire. Le ballet des bus qui s’arrêtaient devant moi pour me boucher la vue avait commencé. Le 86 (5,13), le 63, le 70, le 96. Le bruit que font les autobus a changé depuis GP. Pour épuiser le lieu, il faudrait parler de l’absence de bruit du moteur, ou plutôt comme un bourdonnement devenu caractéristique des moteurs électriques (3). Et il y avait cette voix féminine qui donnait la direction (4). Direction Jardin d’acclimatation, direction Porte de Passy, gare Montparnasse…
Il y avait du monde sur le parvis de l’église (20). Je ne savais pas à quelle heure avait fini la messe (10), on pouvait croire à une sortie d’école qui tardait à se dissiper. Devant la fontaine (6), des religieuses noires dans leur costume blanc se prenaient en photo. J’ai pensé aux photos en noir et blanc qui remplissaient des cartons chez mes parents (14). La lumière était franche et belle, le soleil irradiait et pourtant, quelque chose clochait. Je n’arrivais pas à savoir quoi (21). Alors je me suis à regarder les voitures qui passaient. Pas de camions ou de camionnettes, juste des voitures et des bus. C’était dimanche. Et j’ai remarqué. Les bus de la ville étaient blancs (avec un bandeau bleu ciel sur la calandre). Beaucoup de voitures noires ou grises. Parfois, des blanches. Pas de voitures de couleurs. Dix, vingt, trente… J’ai compté quarante-sept voitures noires, grises ou blanches avant d’apercevoir ma première voiture de couleur : bleu foncé. Où sont passées les couleurs dans cette ville (16) ? C’est ça qui clochait, les couleurs avaient disparu. Alors j’ai cherché les couleurs autour de moi. Le vert du feuillage des arbres sur la place. Le ciel bleu. Les feux tricolores. Le rouge d’un sens interdit. La lumière verte sur le toit d’un taxi. Le bleu de la plaque identifiant la place Saint-Sulpice. Et puis l’impensable, j’ai vu une voiture rouge (18). J’ai aussi vu une bonne sœur à la peau blanche toute vêtue de blanc porter sur l’épaule une étole rouge (2). Ma vue commençait à se brouiller. J’ai fermé les yeux, me les suis frottés avec mes mains et les ai ouverts à nouveau. Ma vue était revenue. À gauche, de l’autre côté du café de la Mairie, quatre moines (des frères ?) se tenaient autour d’un banc (11). Trois étaient noirs, l’un était blanc et ils étaient tous habillés de gris (12). L’un portait une casquette noire, les deux qui se tenaient assis sur le banc étaient noirs, le blanc était debout et tous les quatre portaient des lunettes de vue.
C’est à ce moment précis qu’une autre voiture rouge est passée (1)…
1 histoire de l’autre voiture rouge
2 histoire de l’étole rouge de la sœur blanche
3 histoire de l’évolution des moteurs dans les transports en commun parisiens
4 histoire de la femme qui prête sa voix aux autobus
5 histoire de la ligne de bus #86
6 histoire des fontaines parisiennes
7 histoire des gens qui reviennent à la place Saint-Sulpice
8 histoire des gens qui se sont assis place Saint-Sulpice et qui ont écrit quelque chose sur un carnet
9 histoire des gens qui se sont assis place Saint-Sulpice et qui ne comprennent pas pourquoi ils écriraient quelque chose sur un carnet
10 histoire des horaires de messe à l’église Saint-Sulpice
11 histoire des moines (noirs) à lunettes (pas noires)
12 histoire des moines noirs revêtus de gris et des sœurs blanches (ou noires) revêtues de noir (ou de blanc)
13 histoire du chauffeur de la ligne de bus #86 (qui est passé place Saint-Sulpice le 7 septembre à 12 h 56)
14 histoire du noir et du blanc à Paris
15 histoire du serveur du café de la Mairie (le grand sec un peu dégarni)
16 histoire du voleur des couleurs de voitures
17 histoire succincte des 7 septembre où il a fait beau et chaud à Paris
18 Pourquoi j’ai acheté une voiture rouge à Paris ?
19 Que font les gens le dimanche à Paris ?
20 Saint-Sulpice, son église, son parvis
21 Savoir reconnaître ses émotions

Très appétissantes ces histoires révélées d’un seul coup un dimanche matin sur le parvis de Saint Sulpice. Vivement la suite.
Merci Noëlle. J’ai un peu peur de l’emballement des histoires, ça risque de partir dans tous les sens…
La voiture rouge, le 86, la place St Sulpice … ça émoustille la curiosité.
Merci Louise. Je suis comme toi, très curieux de voir où ces images mènent.
jalouse de la construction, ou plutôt envieuse, ou plutôt je me remets au mien…merci. Des coups, 21, of course.
Ça m’a l’air d’être un château de cartes qu’un simple soupir suffirait à faire disparaître. Histoire d’un soupir… Merci Alexia.
Une consigne sans supplice au moins. Bonne continuation.
Merci Emmanuelle. De Sulpice au supplice, une lettre glisse, une autre se dédouble, et l’histoire n’est plus la même. Histoire du Saint-Supplice…
« Ma vue commençait à se brouiller. J’ai fermé les yeux, me les suis frottés avec mes mains et les ai ouverts à nouveau. »
Nos tentatives d’écrire les gestes les plus simples me fascinent. J’y passe pas mal de temps. Je pense à chaque fois à ces traductions qui réclament plus de mots, de syntaxe pour dire la même chose que l’originale…
Bravo, bien trouvé, en jouant avec le zoom, une histoire apparait ou pas à chaque péripéties.
l’attention au détail, l’épuisement d’un lieu, la façon dont la liste ouvre à la fois sur l’anecdotique et sur l’inattendu… Le motif des couleurs qui manquent, puis réapparaissent, et la liste finale qui laisse entrevoir un champ infini d’histoires possibles, avec un faible pour les 7 septembre.