La belle-mère
Où est encore passée cette satanée gamine ? elle était censée tenir le stand avec moi, pourtant ! C’est bien ce qui était convenu avec son père, non ?! Mais qu’est-ce qu’elle croit ? qu’il suffit de claquer dans les doigts pour créer une entreprise et la faire vivre ? On vient à peine d’ouvrir la brasserie, et ce vide-greniers, avec tout le monde qui y est venu, c’est l’occasion ou jamais de se faire une clientèle. Mais non, Mademoiselle Je-Vous-Suis-Tellement-Supérieure n’est pas là ! partie traîner on ne sait où et on ne sait avec qui. Son père devrait lui faire la leçon ! moi, c’est inutile, elle me répondra, avec son petit air pimbêche et un petit sourire narquois ‘Tu n’as rien à me dire, tu n’es pas ma mère !’ avant de monter dans sa chambre se plonger dans son smartphone. Dire qu’elle lui a réclamé le dernier Iphone, 15 ou 16, je ne sais plus. Comme si une gamine d’à peine seize ans avait besoin d’un machin à plus de 600€ ! alors qu’on est vraiment juste, avec les prêts à rembourser et les fournisseurs à payer… qu’on doit se serrer, rogner sur tout, même la nourriture. Parce que, pardon ! elle, elle mange ! elle dévore, même. Au moins, elle est sortie de sa phase anorexique, je me fais vomir à tout bout de champ, cette comédie qu’elle nous a joué cet été en rentrant de chez sa mère… Ah, si elle demandait à aller vivre chez elle ! mais aucune chance ! son père n’acceptera jamais et de toute manière, la mère ne veut pas s’embarrasser d’une ado. Ça la vieillirait…
Le petit frère
Je ne sais pas ce qu’elle a. D’habitude, elle m’emmène avec elle quand elle se balade sur la brocante. On dirait qu’elle fait la gueule. Du coup, je suis obligé de rester avec Maman. J’aimerais bien servir les bières, mais je suis encore trop petit, qu’elle a dit. Mais je peux aller porter les petits bols de cacahuètes sur les tables. N’empêche, elle m’avait promis qu’elle m’aiderait à trouver une Tesla et elle m’a laissé. Bon, elle pleurait. Je ne sais pas pourquoi. Je voudrais la consoler. Maman dit que c’est ma demi-sœur, mais non, pour moi, c’est ma sœur et je n’aime pas quand elle a l’air triste.
Le garçon
On dirait qu’elle m’évite. Je ne peux plus la voir au lycée, puisque, cette année, je suis interne à Lille, pour mieux me consacrer à mon entrée en prépa scientifique. On ne se voit plus non plus dans le car, du coup. Mais ce n’est pas de ma faute. Qu’est-ce que je lui ai fait ? j’ai dit quelque chose qui n’allait pas ? c’est parce que je ne suis pas allé la voir chez sa mère à Lille en juillet, comme j’avais promis ? Mais mon père m’a envoyé chez l’oncle en Bretagne, et ensuite, j’étais avec eux, en vacances à Berlin. Elle le sait bien, et elle sait aussi que mes parents n’aiment pas trop qu’on soit ensemble. J’ai répondu à ses textos, enfin j’ai essayé, parce que je n’ai pas bien compris ce qu’elle voulait dire… je vais essayer de la retrouver dans la brocante et lui parler, savoir ce qui cloche. Mais il y a tellement de monde… et j’ai promis à Papa de rentrer avant midi pour travailler un peu les maths avec lui.
La copine
Elle n’a pas desserré les dents depuis au moins une heure ! A quoi ça sert d’avoir une meilleure amie si c’est pour rien lui confier ? Elle ne regarde même pas les étalages de la brocante, juste ses pieds. Elle traîne des pieds, littéralement. Et puis, je ne sais pas quoi, mais je lui trouve un air… un air… je ne saurais pas comment dire, mais elle n’est pas comme d’habitude. Pas seulement parce qu’elle fait la tête. Elle… on dirait qu’elle a grossi. Normal, elle n’arrête pas de grignoter. Elle qui picorait et faisait attention à sa ligne. Et puis, je ne sais pas, mais… visiblement, les vacances ne lui ont pas réussi. C’est vrai que passer presqu’un mois à Lille chez sa mère, il n’y a pas de quoi vous rendre euphorique. Pourtant, quand on s’est retrouvées toutes les deux à Lille en juillet, elle était comme d’habitude, joyeuse, prête à courir les boutiques, à traîner au soleil… même si elle se plaignait de temps en temps d’avoir mal au ventre et qu’elle avait été un peu malade, comme le jour où elle a vomi pendant le film au Majestic. Mais bon, le lendemain, elle allait mieux…
La boulangère
Tiens, la gamine du brasseur. Elle est encore venue me prendre des pains au chocolat. Il aurait dû mieux la surveiller, sa fille. Faut dire que c’est un homme, donc il ne voit rien, même quand c’est juste sous son nez. Et une belle-mère, mon dieu, ça n’est pas une mère… celle-là, elle ne veut rien voir. Moi, la petite, je la vois tous les jours, et même plusieurs fois par jour, quand elle n’est pas au lycée. Elle en a pris, de la poitrine. Pas encore beaucoup de la taille, mais ça ne va pas tarder. Et le teint un peu brouillé… c’est pourtant clair ! je dirais quatre mois, au moins. Je me demande si elle a compris ce qui lui arrive. Si ça n’est pas malheureux, se retrouver avec un bébé, à quinze seize ans à peine… alors qu’aujourd’hui, avec tous les moyens contraceptifs et l’IVG, elle aurait pu éviter ça. Mais à quoi pensent les parents ? ils auraient pu lui apprendre, non ? Pauvre gosse. Pauvres gosses, parce qu’il va bientôt y en avoir un de plus !