#histoire #05 | au pied du mur

Mur latéral de la maison. Haute paroi. Avant, on entrait par la petite porte, en contre-bas. Mais c’était risqué. Un trottoir un peu maigre et les voitures tentées d’aller trop vite en prenant la pente contre le mur d’enceinte, bref l’accès initial a été déplacé. Maintenant on entre par le haut mais le résultat est le même : on est vite au contact du côté ouest de la grande maison, celui qu’il faut contourner pour trouver l’accueil, alors qu’avant on passait par l’autre porte, donnant sur l’escalier central qui mène au bureau mythique du premier étage. Halte devant le grand mur latéral rafraichi par un crépi moderne, adapté. Une sorte de rose pâle qui fait penser aux façades des maisons avoisinantes. Le dallage de l’allée longeant le mur est abîmé. Fissures, morceaux manquants. Les réparations trainent. Quand les enfants courent ou font rouler leurs trottinettes là-dessus, les chutes ne sont pas rares. Du laisser-aller sous les pieds des visiteurs. Au rez-de-chaussée, deux fenêtres : chef de service et psychologue.

La fenêtre du premier a été changée, depuis le temps. Double vitrage, cadre PVC. Il y a les récits qui font partie de ce qu’on voit : c’est bien contre cette fenêtre que les enfants d’avant ont envoyé de l’extérieur une volée de cailloux pour dire leur révolte au sortir de l’impensable. La cave aux archives permettant de rechercher les traces de ce qui a eu lieu donne sur la rue.

Arrêt sur image, film en cours de visionnage. Directrice d’hier saisie au moment où elle allonge le pas en longeant le mur de la Maison collective. Elle a la coiffure des femmes années 50, la robe aussi —accessoires des lendemains qui soi-disant chantaient. Visage tourné vers la caméra et mur latéral en arrière-plan, avec au-dessus de la tête non pas l‘épée de Damoclès mais la fameuse fenêtre caillassée, à l’appui de son pas et de sa démarche. En noir et blanc. Le film se poursuit. Mur toujours longé aujourd’hui.

On ne sait pas si c’est de l’encre ou de la peinture qu’ils ont balancée récemment depuis la fenêtre du premier. On voit une grosse tache noire sur le bas du mur. Elle empiète sur le vieux dallage. Nettoyer, effacer, réparer prend du temps. Les entreprises sont débordées ou fermées. La tache interpelle. Le karcher a été essayé.

L’arbre planté il y a trente ans à quelques mètres du flanc crépi a tellement grandi que ses branches touchent le mur la maison. Si celle-ci était une prison, les prisonniers pourraient facilement s’évader en s’accrochant à une branche. C’est un bel arbre-hommage avec une petite plaque clouée dans l’écorce. Un nom, une date, gravés sur la plaque. Des enfants enlacent le tronc, regardent avec les doigts. L’arbre en fleur embaume. Le problème, c’est les racines. Par en dessous, elles risquent de déstabiliser tout l’édifice. D’autant qu’il n’y a pas de fondations, même si, depuis le temps, la bâtisse a fait ses preuves. Du solide malgré tout. A en croire le mur latéral. Mais le dallage est fragilisé par le soulèvement.

Grand pan de mur. Un pas de côté. Pan de mémoire. Longé pour entrer, ou pour sortir. Jouant le rôle de toile de fond quand la structure gonflable est installée non loin de lui juste avant l’été, pour l’opération portes ouvertes. Les enfants glissent en riant sur le grand tobogan pneumatique. Un adolescent, penché à la fenêtre du premier, balance sur les petits qui jouent en bas des litres et des litres d’eau. Vite évaporée.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.