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#06 | sept rêves avec promenade & personnage
Inflexion dans cette séquence, mais même principe encore : rester dans l’amont de l’histoire à naître, alourdir, étendre ce qu’elle va embarquer, distendre de nous-mêmes ces matériaux pour aider l’histoire, qu’elle devienne moteur de l’ensemble à naître, prendre autonomie par rapport à nous-mêmes.
Des personnages, des lieux, des voix, on a rebrassé ces cartes dans les cinq propositions précédentes. Une fois de plus, c’est dans la propositions précédentes qu’on va puiser pour cette nouvelle et sixième séquence.
Simulation de fiction : c’est l’expression qui m’est venue dans la vidéo ci-dessus. Simulations, parce qu’il ne s’agit pas de cette histoire à naître, mais de courses préparatoires, de rodage, de tentatives auxquelles on ne demande pas l’élan implacable où l’histoire prendra chemin hors de nous-mêmes.
Principe simple : un «je» accompagne en promenade un des personnages que nous avons fait naître. Cela suppose un lieu précis, un personnage encore énigme, mais qui deviendra acteur de l’histoire à naître, puis une saison ou une heure.
Je cite, à la toute fin de la vidéo, un livre pour moi extraordinaire: dans le long internement psychiatrique de Robert Walser à Vienne, le visite régulièrement, un dimanche par mois ou par saison, un jeune écrivain, Carl Seelig. Son livre Promenades avec Robert Walser inscrit au détail près les paysages, transports, attentes, pluies, comme il inscrit l’habillement de Walser ou ce qu’ils ont bu et mangé, comme écrin évidemment, et le plus fidèlement transcrit, aux paroles du poète détruit. Ce livre appartient-il à l’oeuvre de Walser? Non, bien sûr. Mais pourtant.
Et puis ce «je». Le personnage peut être à distance spatiale ou temporelle de nous-mêmes, on ne cherche pas la réalisation d’une machine à remonter le temps. Le «je» peut donc être vous-même, avant que l’histoire vous dise au revoir, mais il peut être narrateur·ice hors de vous-même, mais lié à ce personnage qu’on cherche à densifier, et rendre autonome.
Appui pour cela sur un curieux petit (son format, du moins) livre de Lina Lachgar, publié à la Différence en 1997, Sept rêves avec Marcel Proust. Lina Lachgar est alors immergée totalement dans ses relectures de À la recherche du temps perdu, notamment pour le livre qu’elle consacrera à Céleste Albaret. Nous avons tous vécu ces traversées par le rêve, la promiscuité soudain concrète, à travers temps et espace, ou le livre même devenu paysage arpenté.
Ces textes étant extrêmement courts (le livre les complète par des passages en italiques explorant d’autres instances), vous les trouverez tous les sept dans le doc à télécharger (passer lien ci-dessus par le sommaire Patreon).
Par exemple, ne serait-ce que les incipits… Le 1 : «Il pleuvait. Je marchais à petits pas rapides sur la plage quand…» Le 2 : «Je me promenais dans Paris en sachant que j’étais à l’intérieur d’un rêve dans lequel le nom de…» Le 3 : «Comme j’arrivais avenue Victor-Hugo où je demeurais, j’entendis la voix de…» Le 4 : «Place de la Madeleine, après avoir fait l’acquisition d’un encrier Aux Trois Quartiers, je m’apprêtais à poursuivre ma route dans la direction du boulevard Malesherbes quand…» Le 6 : «J’étais dans un parc, tout à coup les cloches d’une chapelle voisine sonnèrent à la volée tandis que l’on ouvrait toute grande la grille à deux battants. Alors…»
En passer par le rêve ou s’interroger (c’est passionnant) sur la nature même de l’écriture du rêve? Ce n’est pas notre propos. On reprendra de Lina Lachgar simplement cette légèreté qu’autorise le rêve parce que pas d’autorisation à demander, pas de risque d’incohérence: en ce lieu, à cet instant, oui le «je» est en droit d’accompagner le personnage dans sa promenade.
Oui, cela pourrait être une fiction, Kafka utilise à plusieurs reprises ce procédé (voir La trappe). Mais je vous inviterais plutôt à ne pas céder à l’appel de la fiction, et plutôt — loi de la variation qui nous réussit plutôt bien depuis le début de ce cycle — à en multiplier les possibles : mieux vaut trois ou cinq débuts de fiction entre ce «je» (donc vous-même ou narrateur·ice disant je par procuration) et ce même personnage (on pourrait imaginer un même «je» confronté chaque fois à un personnage différent, je préférerais plusieurs «je» ouvrant différentes facettes d’un même personnage, mais on s’en tiendra plutôt à différentes variations, trois, cinq ou sept d’un même «je» et d’un même personnage, dans différentes occurrences, situations, temps et lieux), donc plutôt cinq variations de dix lignes qu’un texte de 3 ou 5 pages sur une seule occurrence, qui nous renverrait plutôt à nos cycles sur la nouvelle…
Et donc 3, 5 ou 7 débuts de promenade, entre «je» et personnage ? Ce que nous prenons au livre si singulier de Lena Lachgar, petit joyau si vous êtes de la joyeuse et infinie confrérie proustienne comme je suis, c’est cette légèreté qui se revendique du rêve, parce qu’aucune justification nécessaire à la situation de départ : «je me promenais», «je revenais», «j’étais dans un parc», comme si un bref appel d’air pouvait même souffler l’intercesseur, celle ou celui qui raconte, et ne plus laisser que le personnage, comme dans le magnifique livre de Carl Seelig sur ses dimanches avec Robert Walser…
Merci à Emmanuelle Cordoliani pour cette suggestion du livre de Lina Lachgar, Sept rêves avec Marcel Proust, La Différence, 1997.
seriously…? Damn it…
Magnifique livre de Lina Lachgar.
Et
Bien bel hommage à Robert Walser.
Un grand merci.