#histoire #08 | Franz Kafka, je suis de retour

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#08 | Franz Kafka, je suis de retour

Voici le texte Heimkehr de Franz Kafka, probablement vers 1916, et repris à titre posthume dans le recueil Description d’un combat:

«Je suis de retour. J’ai traversé le vestibule et je regarde à l’entour. C’est la vieille ferme de mon père. La mare au milieu. De vieux ustensiles inutilisables, enchevêtrés les uns dans les autres, encombrent le chemin qui mène à l’escalier du grenier. Le chat est aux aguets sur la balustrade. Un bout d’étoffe déchiré, jadis enroulé par jeu autour d’une perche, se dresse dans le vent. Me voilà. Qui va m’accueillir ? Qui attend derrière la porte de la cuisine ? Une fumée sort de la cheminée, on prépare le café pour le repas du soir. Comment te sens-tu, te sens-tu chez toi ? Je ne sais pas, je suis très incertain. C’est la maison de mon père, mais chaque chose est froidement posée à côté de l’autre, comme si chacune était occupée de ses propres affaires, que pour une part j’ai oubliées, que pour une part j’ai toujours ignorées. À quoi puis-je leur servir, que suis-je pour eux, bien que je sois l’enfant de la maison, le fils du vieux paysan ? Et je n’ose pas frapper à la porte de la cuisine, j’écoute seulement de loin, je reste là debout, à écouter de loin, de telle manière que je ne risque pas d’être pris à écouter. Et comme j’écoute de loin, je n’entends rien, j’entends seulement le bruit léger d’une pendule — du moins je crois l’entendre, venant jusqu’à moi du fond de mon enfance. Tout ce qui se passe dans la cuisine est le secret de ceux qui sont assis là-bas, un secret qu’ils ne me confient pas. Plus on hésite devant la porte, plus on devient étranger. Que se passerait-il si quelqu’un maintenant ouvrait la porte et me posait une question ? Ne serais-je pas moi-même comme quelqu’un qui veut garder son secret ?»

Ce qui compte, pour nous, c’est l’idée de confier au personnage, par l’intensité de la situation, le lieu d’abord, le temps ensuite, et l’instant arrêté juste avant qu’il frappe à la porte, de quoi se faire lui-même l’énonciateur et le porteur de l’histoire dont nous ne serions plus alors que le facilitateur, le scripteur. Non seulement la prégnance des éléments visuels de ce retour, les objets, mais aussi les changements de focale et gros plan, mais aussi l’approche de cette porte comme si la rejoindre ne serait jamais possible, les questions qu’on se pose alors sur soi-même, mais ce renversement de la fin: si quelqu’un ouvrait la porte (si…), quelle serait cette question? Et ce secret, que bien sûr on ne dira pas, est-ce qu’alors il ne porte pas tout le texte depuis ses premiers mots?

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