Cette nuit-là, il y avait une deuxième lune dans le ciel. Toute ronde, posée dans le ciel. Ivan disait que ce n’était pas une deuxième lune. Il disait que ça ne pouvait pas être une deuxième lune car la lune c’est le nom qu’on a donné à un astre. Le nom est déjà pris. Il peut y avoir un deuxième astre dans le ciel mais pas une deuxième lune. Moi je n’étais pas d’accord avec Ivan. Je savais ce que je voyais et je n’avais pas besoin de ses explications de grand qui a été à l’école du village. C’était bien une deuxième lune. C’était la lune mais autrement. Aussi, je n’étais pas d’accord avec Ivan car deux choses peuvent porter le même nom. L’un le porte avec la lumière et l’autre avec l’ombre mais Ivan ne comprenait pas ces choses là. La deuxième lune éclairait le chemin qui menait au bord de la mer et c’était ce qui importait le plus pour lui.
Il nous fallait éviter, avec nos pieds nus, les cailloux aiguisés. Le chemin était rugueux, il me semblait qu’il y avait plus de terre et de brindilles sèches que de sable. Pourtant une poussière légère flottait dans l’air, me piquant le nez et les yeux, mais je me retenais de pleurer. Aussi j’avais mal au ventre et le rythme d’Ivan était trop rapide pour moi mais je ne me plaignais pas parce que je ne voulais pas qu’il me voit comme une enfant. Il marchait quelques pas devant moi, avec un grand bout de bois et il repoussait les débris sur le bord du chemin. Le chemin me paraissait différent de nuit. Je ne reconnaissais pas les arbres. J’avais parfois l’impression qu’ils tendaient leurs branches vers nous, comme pour nous entendre mais nous ne parlions plus. La forêt aussi semblait retenir son souffle. Juste au loin, nous entendions quelques rires, en-dehors des arbres, vers la plage. Je ne savais pas si c’était nos amis car la nuit obscurcit les voix. Quelque chose fila entre les arbres. Une ombre trop légère pour se faire attraper par la nuit.
Ivan sursauta. “C’est le Vent ?” demanda-t-il, aux aguets. Je ne savais pas – comment pourrai-je savoir ? lui ai-je dit. Apparemment je ne sais rien, même pas les astres ! Ou c’est un renard, murmura Ivan. Il tenait le bâton devant lui, en garde, et s’était mis entre la forêt sombre et mon corps. Il sentait le chaud. Ivan fit un pas puis deux vers les arbres immenses. Si je levais la tête pour voir leurs cimes, j’avais le vertige. Une matière chaude coula vers mes mollets. Ivan continuait à avancer hors du sentier, et la lune suivait son mouvement, éclairant les sous-bois de reflets argentés. Pendant qu’il ne me regardait pas, j’ai glissé discrètement mes mains le long de mes jambes et je suis remontée sur mes cuisses poisseuses. Mes doigts étaient rouges. J’ai goûté le liquide du bout des lèvres. Je venais d’avoir mes premiers sangs. Non vraiment, Ivan ne comprenait pas les choses de la lune.
Merci pour la balade et la deuxième lune, j’aime beaucoup l’idée que « deux choses peuvent porter le même nom. L’un le porte avec la lumière et l’autre avec l’ombre »
Et fin qui replace le texte dans un tout autre contexte que celui du début
merci à vous pour ce beau commentaire. moi-même je ne savais pas où j’allais dans ce texte et dans ces lunes
Magnifique ! et quelle ouverture cette phrase « J’ai goûté le liquide du bout des lèvres. Je venais d’avoir mes premiers sangs ». qui nous emmène vers des croyances, vers peut-être d’autres lunes, d’autres légendes. Merci yasmine.
Merci à vous pour ce retour et cette sensibilité aux lunes, quelles qu’elles soient … 😉
Très beau texte teinté des couleurs de l’enfance et d’une sensibilité intacte. Merci.
Merci à vous les retours sont toujours encourageants !
Très beau !! Et j’envie bien un cette jeune fille davoir eu un ami aux côtés d’elle lorsqu’elle a eu « ses premiers sangs »…. Même s’il ne croit pas à la deuxième lune !! Et s’il ne supporte pas qu’un mot puisse recouvrir des réalités différentes… Quelle jolie nuit… Meci pour ce texte plein de poésie…