##Le_double_voyage #09 La troisième dimension

1- C’est quoi un voyage si on ne te raconte rien de l’histoire ? Un paysage en deux dimensions, un écran plat sans profondeur ! Elle se souvient qu’elle était allée à Baram pour découvrir comment on vivait dans un kibboutz. Là-bas, personne ne lui a jamais dit qu’il était construit sur un village arabe détruit, personne pour l’emmener voir les ruines.Wikipedia raconte aujourd’hui.
Les chrétiens maronites du Liban ont construit leur village sur les ruines juives du site au XIXe siècle. La population juive a quitté Kfar Bar’am, qui est devenu un village principalement chrétien appelé Kafr Bir’im à la frontière libanaise, qui a été détruit au bulldozer par Israël en 1949. Les habitants arabes chrétiens de la ville ont été expulsés de leurs maisons en raison de l’insistance des Forces de défense israéliennes pour que la zone frontalière avec le Liban soit vide de Palestiniens.
Il y a des photos des ruines.

2- Son projet c’est de faire revivre les monuments aux morts. Elle est devenue spécialiste des cérémonies du souvenir : 11 novembre, 19 mars, 8 mai. Elle y va pour raconter l’histoire des femmes, des mères et des soeurs qui n’ont pas fait la guerre, mais remplacé les hommes au travail, attendu, pleuré pour souvent ne pas les voir revenir. À chaque fois elle en place une.
Elle raconte : Marie Durand était déjà veuve lorsque deux de ses fils Joannès et Petrus Mayoud sont mobilisés en 1914. Ils mourront à quelques jours d’intervalle en aout 1914. Sa fille venait d’épouser en 1913 un garçon mobilisé lui aussi qui tombera en 1916, le couple avait déjà un enfant, un autre naîtra posthume. Sa fille se remariera en 1924 et aura un troisième enfant. Mais à 74 ans, Marie Durand épouse Mayoud, élève seule deux de ses petites filles.
Parfois quelqu’un vient lui dire : c’est bien ce que vous faites, ça fait réfléchir. Souvent les gens sont gênés, ils ne savent pas de qui on parle.

3- La salle est pleine pour cette conférence : nourrir le monde, solutions alternatives à l’agriculture productiviste. La conférencière évoque une enquête qu’elle a faite au Mexique alors qu’elle parlait si peu espagnol. Les autres chercheurs, des hommes, parlaient avec les hommes assolement, rotation des cultures, dates de semis et de récolte, circuit de vente, prix d’achat des semences et prix de vente des produits. Les femmes avaient compris son inquiétude et discrètement sans un mot lui avaient donné une serviette hygiénique, une vraie serviette hygiénique comme elle aurait pu en trouver dans n’importe quel super marché en Europe et qui avait dû leur coûter cher. La conférencière alors élève la voix, écarte le micro et raconte à voix nue :
Je ne veux pas choquer, ni prétendre que c’est une affaire aussi simple que de se moucher quand on a le nez qui coule. Non, ce n’est pas simple du tout, pas simple du tout et c’est peut-être ça qu’il faut raconter. On ne prévoit pas quand ça arrive, ni où, ni comment, ni combien. Le stress que ça met la gestion de cette incertitude. De garder l’air normal en essayant de surveiller discrètement la possible apparition de la tache rouge. À se tordre le cou. Et la nuit, la nuit, c’est simple j’en mets deux. Combien il faut d’essais-erreurs pour trouver la bonne taille, comment introduire, fixer, porter la chose sans la perdre ou l’avaler et surtout sans qu’elle fuite. Et les petites lessives à l’eau froide, les taches qui restent malgré les lavages et le séchage ; dans tout l’appartement. Où et comment en changer, rien n’est facile. Aujourd’hui et depuis qu’il existe des femmes sur terre et que le sang de leurs règles est rouge et doit rester caché.
La conférencière se rassoit, un peu rouge et essoufflée. Elle ne sait pas ce qui lui a pris de sortir ainsi du sujet. N’est-ce pas tout autrement qu’elle aurait dû expliquer que le plus important ce jour-là ce n’était ni le maïs, ni les haricots, mais cette humaine condition des femmes QUI N’ont PAS BESOIN DE MOTS POUR SE COMPRENDRE.On passe la parole à quelqu’un d’autre. Son VOISIN DÉBOUCHE LA PETITE BOUTEILLE QU’IL A DEVANT LUI. iL LUI SERT UN PEU D’EAU COMME SI ELLE AVAIT FAIT UN MALAISE.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .