Aujourd’hui encore la mer est partie loin. Il ne reste qu’une fine bande grise accolée au ciel. Trois petits garçons et une toute petite fille enfilent leurs sandales en plastique, glissent la pointe métallique dans le trou de la bride pour les fermer. Ils s’élancent. Leurs pieds frappent le sol, sautent dans les flaques, des éclats de sable mouillé tachent leurs mollets. C’est toujours le même étonnement : la mer est si grande, comment peut-elle partir si loin pour revenir quelques heures après s’écraser en vagues. La silhouette noire d’un paquebot se découpe sur le ciel. La chaleur monte en brume, fait trembler la terre. Le père brandit un filet à crevettes plus grand que lui, même s’il ne pêche jamais rien. C’est l’heure de rentrer. Au revoir la mer. La mère attrape la petite par la main. Un homme et une femme enlacés prennent la tête du cortège, montrent le chemin aux garçons. A la sieste ! dit l’homme au filet. Le couple approuve, s’embrasse longuement, les enfants les regardent en faisant la grimace.
C’est une longue allée bétonnée séparée de sa jumelle par une esplanade d’herbe drue. Pelouse interdite, pas le droit de courir sur le tapis vert, pas le droit de se déchausser pour ôter les grains de sable coincés entre les orteils. Pas le droit non plus de cueillir les fleurs que des jardiniers ont planté en ligne rouge, jaune, orangée jusqu’au monument aux morts aux noms écrits en lettres d’or sur fond gris. Devant le monument un chemin de cailloux blancs et doux en forme de dragées. Interdit de les ramasser. C’est sale ! dit la mère. Une fois au bout de l’allée bétonnée, prendre la route à droite, puis encore à droite pour arriver devant une façade aux volets vert foncé. Les fenêtres de la maison de vacances s’ouvrent au ras du sol. Derrière la porte d’entrée la maison est sombre. A partir de 16 heures il est interdit de boire de l’eau, strictement interdit parce que sinon la nuit, l’un des garçons fait pipi au lit et tant pis pour les autres qui meurent de soif. Le grand frère murmure à l’oreille de sa sœur : T’as ramassé un caillou blanc comme je t’ai dit ? Oui. Quand tu as trop soif tu le suces, d’accord ? Mais ne dis rien ni aux cousins ni à personne, promis ? Promis.
Le pin parasol penche si fort sur le côté qu’il a fallu glisser un étai pour empêcher la branche principale de racler le sol. Les adultes le contournent les enfants se glissent dessous. La plage s’étale en contrebas. Qui veut jouer aux raquettes avec moi ? demande la fillette. Personne. C’est pas jouer, dit un grand, tu ne sais même pas taper la balle dans la raquette. Si je sais ! La petite porte une culotte de bain en nylon avec de grosses fleurs jaunes dessinées dessus, un volant plissé autour de la taille. Elle s’assied dans le sable mouillé, jambes tendues devant elle, elle les écarte et regarde les petits trous qui se forment sous ses yeux. Sacré nom de Gu ! Les cousins l’ont entendue : T’as juré le nom de Dieu. Elle hausse les épaules, enfonce son index dans un trou : Qui c’est qui habite là-dessous ?
Merci Françoise, quelles belles images et tellement de détails, de secrets, d’interdits bravés, j’aime.
Merci Clarence pour ton passage. Je cours après le temps mais je m’accroche 😉