Recto
Le bus franchit le pont sur le ruisseau, traverse le village, s’arrête sur la place du clocher, crache son passager, et repart tout droit sur la route vers un ailleurs, laissant un tourbillon de poussière. Des maisons alignées le long de la route, des fermes, avec une cour qu’on ne voit pas de la rue, un chien de garde dans une niche, des bruits d’animaux, poules, canards, vaches, au fond des greniers remplis de foin et des silos à grains blonds odorants. Et après la place, un bâtiment bas en longueur, peu visible, tapi dans un chemin d’orties qui piquent et de marjolaine sauvage, une ferme modeste, une petite cour où courent en liberté des poules, un coq et un cochon qui se vautre dans des flaques. Une palissade où s’appuie une petite cabane en bois qu’on pourrait appeler aujourd’hui des toilettes sèches. Même bien plus rudimentaire encore, et accolé à un tas de fumier imposant. A droite, la maison avec une porte d’entrée basse dans la cuisine sombre, une pièce de chaque côté où les habitants s’entassent pour dormir. Dans l’enfilade, un hangar en bois avec des outils agricoles, puis une étable sombre avec deux bœufs et quatre vaches. Pour fermer la cour, une grange avec de la paille entassée, et des balles de foin en face. Un portail immense qui s’ouvre sur un potager aux odeurs de carottes fraîchement arrachées, une fontaine toute simple dont le bras couine en action et un jardin de curé avec une forêt de delphiniums bleues. Un verger avec des poiriers et des cerisiers dans un paysage paisible et verdoyant, paradis pour des petits vacanciers citadins… « plus tard, je serai fermier » …qui ne connaissent pas les difficultés d’une petite exploitation agricole
Verso
Il n’y pense plus. Cela fait des années. Il va voir une maison à louer dans ce coin-là. Il passe le pont sur le ruisseau, continue tout droit sur la route, reconnait ici une cour, là une grange, tout semble lui revenir, la place est toujours là, son souvenir se précise…il cherche, il cherche une personne, une image, une odeur…plus d’orties, plus de chemin d’herbes, plus de fumier ni de palissade, plus d’animaux, plus de fermiers, la maison n’existe plus, le jardin non plus…il ne restait pas de souvenir, mais tout lui revient à l’instant, il ne savait pas que c’était aussi important pour lui…c’est un terrain vague, un retour à la nature, une étendue de prés verts, en pensée, il traverse la grange…l’odeur de foin dans ses narines, le portail ouvert, celui qui n’existe plus, s’est ouvert pour lui sur le verger qui est toujours là, avec les poires un peu blettes, les cerises grignotées par les oiseaux et une vue sur le paysage vallonné, le village voisin tout près, celui qui semblait pourtant très loin pour les yeux et les pieds du petit vacancier, il distingue l’église sur la colline qu’il n’avait jamais vue autrefois…et le bus passe toujours en soulevant un nuage de poussière…
J’aime bien comment dans le verso les souvenirs se lâchent et l’écriture aussi filant quasi d’une traite sans ponctuation (les points de suspension accompagnant le mouvement). C’est comme si on y était. Merci !
Merci, Cécile, pour le commentaire, c’est chouette de voir qu’on a été suivi dans le mouvement et dans le sujet. J’irai voir chez toi…