Le fait qu’il ne puisse plus répondre aux questions qui saignent ; le fait que peu avant, il avait rejoint les célébrations; le fait qu’il ait pris la parole la deuxième fois devant l’écran du cinéma ; le fait que la canicule était annoncée ; le fait que la ville n’était pas encore secouée ; le fait que Joséphine était toujours avec lui; le fait qu’il était seul avec son chien ; le fait qu’il aurait voulu connaitre son grand-père ; le fait que son grand-père ait été exterminé ; le fait qu’elle, la grande résistante, c’était mémé pour lui; le fait que ses livres soient accessibles ; le fait que la nuit est mauvaise conseillère ; le fait que les poisons circulent facilement ; le fait qu’on ne comprend rien aux désirs extrêmes ; le fait qu’il ait eu besoin de ça ; le fait que la veille il était encore là ; le fait qu’il ait alimenté les faits divers ; le fait que la face cachée du parcours initiatique est impensable; le fait qu’un sourire peut être triste ; le fait que trois cent personnes se soient retrouvées en son absence ; le fait que la femme revêtue d’une robe d’avocat ait trouvé les mots justes ; le fait de faire avec ; le fait de faire sans ; le fait d’aller voir ailleurs ; le fait de se mettre en danger ; le fait que le mal soit fait ; le fait qu’on ne sache pas si c’est un mal pour un bien ; le fait qu’on y revienne ; le fait qu’on parle d’autre chose ; le fait qu’on tourne autour ; le fait que la terre tourne sur elle-même et autour du soleil ; le fait de ne pas pouvoir supprimer son nom de la liste des contacts ; le fait d’avoir égaré une clé ; le fait de l’avoir retrouvée ; le fait qu’il y a un lien entre les événements ; le fait que trois cent photos de lui avec son chien aient été posées sur trois cent chaises ; le fait que chaque présent ait quitté les lieux avec une même photo ; le fait que ce jour-là les touristes étaient nombreux dans les parages
Le fait est que le département choisi pour le camp d’été se trouvait loin de tout. Loin de tout, c’est loin de la ville. Donc la campagne. La Creuse très exactement avec un château dédié à l’accueil des enfants venus de la ville. Le fait est que la grande dame directrice m’avait demandé d’ajouter ses deux petits-fils à la colonie ; le fait est que c’était une responsabilité pour la jeune monitrice que j’étais alors mais que je ne pouvais pas dire non et surtout les petits frères aux grands yeux noirs attiraient tous les cœurs. Le fait est que j’ai très vite appris à les connaitre : j’étais comme la grande sœur qui les protégeait, les entrainait dans des aventures imaginaires dont le cadre était le vieux château qui se prêtait à tous les jeux. Le jour, nous partions explorer la région et le fait est que ni les frères ni moi n’avons oublié la rencontre avec le sabotier qui avait repris l’atelier de son grand-père et montrait comment transformer une bille de bois en creusant des morceaux blancs, en arrondissant les formes, en soignant le bec des sabots nouveaux nés avant de sortir une vielle à roue pour nous apprendre les chansons de son métier. Au soir de journées joyeusement remplies, il fallait créer les conditions nécessaires au sommeil et le rituel s’imposait dans les chambres trop sonores du château. Le fait est que le plus jeune des deux frères, d’une nature sensiblement inquiète, demandait toujours une autre histoire et que je ne savais pas résister. Le fait est que presque quarante ans plus tard, quand nous nous sommes retrouvés, il a regardé ma main et m’a demandé si j’avais toujours la bague couronnée d’une pierre bleue à partir de laquelle j’avais inventé une histoire de ciel et de mer mêlés. Le fait est que ce petit garçon rêveur et indépendant un jour s’était caché, disparaissant aux yeux de tous pour jouer avec le petit chien du château qui ne l’a plus quitté depuis.
