RECTO
Choses qu’on aimerait empêcher
de laisser trotter dans son esprit
Viol
La mort d’un enfant en bas âge
Une main qui remonte où c’est pas permis
Des gens qui meurent de faim, des inconnus, des comme nous
Des femmes prises entre la tradition, entre les factions, des femmes toutes fonctions, obligées, forcées, des femmes dont la vie est prison, est torture, est soumission
Elle écarte de sa pensée la possibilité de la solitude, elle pense s’en éloigner en fixant le cours de ses idées sur les tâches quotidiennes, en se faisant pour ses enfants plus de souci qu’elle ne devrait, en occupant sa pensée, en l’assiégeant de mille sollicitations, qui l’étouffent.
Le souvenir de Sabrina se concentre sur les traits de son visage, aigus, un nez fin, des yeux en gouttes, malicieux comme des diamants, soulignés de khôl, des lunettes longues, un maquillage discret. De ses cheveux il ne reste que les barrettes serrées dans un filet de tulle au fond d’un tiroir. Elle ne l’a jamais vue retirer sa perruque. Ce que Sabrina avait subi enfant, Coralie n’en a jamais perçu que des échos, l’échappée, parfois, au détour d’une phrase, d’une allusion comme un jet de vapeur s’échappant d’une soupape, quand le ressassement des traumatismes, trop amer pour être dit tel quel, pour être avoué, demande à sortir, lance un appel, une alarme, un clignotement. Il ne pourra pas se faire entendre plus. Les brimades sont trop ancrées dans la chair pour se métamorphoser en phrases. Les mains qui ont parcouru l’épiderme de Sabrina, qui ont souillé ses orifices – Coralie ne l’a jamais entendu raconter, mais elle sait qu’elle fait plus qu’imaginer quand cela lui donne la chair de poule – ces mains lui font froid dans le dos.
VERSO
- Moments où l’on se sent seule
- Moments où l’on aimerait être seule
- Motifs de rupture
- Motifs de fâcherie ne pouvant entraîner rupture
- Choses qu’on aimerait empêcher de laisser trotter dans son esprit
- Choses murmurées par les morts
- Le vert
- Vert(s)
- Chambres où l’on n’a dormi qu’une seule fois
- Chambres et cabanes d’enfant
- Périphériques
- Bruits de la circulation
- Bruits du vent
- Bruits de l’eau
- Véhicules
- Rêves de voyage
- Moments reposants
- Visions du monde et autres croyances
- Façades
- Monuments aux morts
- Étendues d’eau
- Cours d’eau
- Choses qui aigrissent le caractère
- Choses qu’un cleptomane peut dérober sans se faire remarquer
- Choses qui rendent sûre de soi
- Formes de sépultures
- Outils d’archéologues
- Sports
- Tissus dont on peut se parer
- Formes du cheveu et de la coiffure
- Choses du quotidien qui peuvent agacer
- Outils bancaires
- Tenues de travail
- Écoles
- Tâches et métiers perçus comme dégradants
- Choses matérielles qu’on n’a pas les moyens de s’acheter
- Jalousies
- Solidarités
- Routes
- Ponts
- Grands bâtiments
- Expressions enfantines qui attendrissent les adultes
- Parures et bijoux
- Rivages
- Choses qui dégoûtent
- Choses qu’on ne mange pas
- Objets qui procurent un plaisir esthétique
- Boîtes
- Petits bouts de laine ne pouvant servir à rien
- Classements
- Classifications
- Rangements
- Coups et blessures
- Vides
- Pleins
- Sourires et grimaces
- Choses que l’on chérit
- Objets qui n’ont de valeur que pour soi
- Camarades d’école et autres fantômes
- Collègues de travail
- Stages en entreprise
- Outils de scrapbooking
- Travaux manuels
- Choses dont le souvenir rend triste
- Choses qui prennent du temps
- Tâches que l’on aime accomplir même si elles prennent du temps
- Paroles odieuses
- Paroles prononcées sans réfléchir à l’effet qu’elles peuvent avoir sur autrui
- Choses faites avec étourderie
- Terre(s)
- Signes extérieurs de pouvoir
- Matières précieuses
- Signes d’une vie luxueuse
- Choses ayant un rapport ou un autre avec les chevaux
- Objets luxueux
- Outils agricoles
- Forêts
- Champs
- Animaux domestiques
- Rites dont l’usage s’est perdu ou dont l’interprétation est incertaine
- Choses qui vous lient
- Pour aller au fond des choses
- Minerais
- Outils de mineurs
- Films d’art et essai
J’aurais aimé que la déclinaison continue comme au début milieu de texte. Ce qui suit stop un peu l’impact des premieres phrases, j’ai vraiment vraiment aimé le début et j’aurais voulu plus encore avant le souvenir de Sabrina
Merci beaucoup Jen pour cette remarque. Je n’ai pas assez pris le temps de creuser, sans doute trop pressée de rattacher l’exercice aux personnages de mon texte en cours. Félicitations pour la publication de ton livre !
très fortes tes 4 ou 5 premières affirmations (tout comme Jen)
« des inconnus, des comme nous »
oui, rester là dessus…
merci Laure pour ça…
Merci Françoise ! Comme je l’ai écrit à Jen, j’aurais dû me laisser aller plus à l’exercice avant de l’aiguiller vers mon projet.