#rectoverso #12 | Burning man

Quoiqu’on fasse, certains livres ne nous quittent jamais. On a beau changer de maison, retourner les bibliothèques, ils ne sont jamais loin des yeux, avec comme un regard en coin, mine de rien. Enfermés dans un placard, ils dépassent un jour d’un tiroir, remisés au grenier ils ressortent d’une malle ou dorment sous une pile de vieux journaux. Des livres pot de colle, à tort ou à raison. Chercher le pourquoi d’un tel attachement, malgré le temps, revient à se noyer dans un océan de subjectivité. Pour l’auteur, l’écrivaine, sa vie, leurs œuvres, l’histoire, la grande, les imaginaires, les leçons de vie, de philosophie, l’écriture, la poésie, les personnages, les images, un rythme, une phrase, un mot parfois un seul souligné trois fois, une quatrième de couverture, des citations, le souvenir d’un plaisir savoureux de lecture, le lieu de son acquisition, de sa trouvaille, le cadeau d’un ami, l’héritage du grand père. Bien d’autres coups au cœur que la raison pure ignore en gloussant sur ces états d’âme introspectifs et dangereusement spéculatifs. Il y a aussi Le Sujet, comme on a aimé le sujet d’un film ou le thème d’une exposition. On tient là un motif tangible de conservation d’un livre. Le sujet !

Et puis, il y a le tien. Qui vient de réapparaître sur un coin de ton bureau. Celui que tu t’es autorisée, il y a vingt ans, malgré un sentiment d’illégitimité bien amarré à ton passé mais pas au point de tout faire disparaitre une fois le point final déposé, à façonner comme un pavé à jeter dans la mare. Reviens un peu sur la genèse parce qu’il y a toujours une histoire avant l’histoire, un être vivant ou mort avant un personnage, un réel avant l’imaginaire. Souviens toi de cet opuscule déniché dans une petite librairie du quartier piétonnier d’Aix en Provence. Tu sors furieuse d’une audience, houleuse, violente dans les mots et les regards. Tes yeux plongent dans ce casier posé sur le trottoir, plein de livres en vrac soldés. La couverture de celui que tes mains saisissent est insignifiante et son titre n’apaise en rien ta colère. Un tout petit livre écrit par un homme sur un sujet de haute voltige, à haut risque. Les femmes. Tu le feuillètes, les premières lignes t’agacent, vu le prix, dérisoire et le sujet d’importance, tu l’emportes avec toi. Il prend le train, le métro avec toi, tu rentres avec lui chez toi, tu lances tes chaussures à talons ta robe noire et tes dossiers par terre dans l’entrée, tu t’affales sur le canapé, tu le sors de ton sac où tu l’avais enfoui sous le poids de tout ce qu’il peut contenir d’intime et de dérisoire, et en moins d’une heure, au début de cette nuit-là, tu en a fait ton quatre heures. Tu n’as pas lu, tu as consommé, vite fait bien fait, un bout d’essai sarcastique sur le genre féminin d’un auteur dont tu découvres l’existence et sa spécialité, la philosophie. Tu as mal dormi. Au petit matin, tu aurais pu délaisser ce livre avec la poussière sous le lit où il avait glissé. Tu l’extirpes de sa cachette, le pose sur ton bureau. Crayon de papier, marqueur, stylo, ordinateur. Tu n’es plus là pour personne. Laissez-moi écrire, peut-être pas tout ce que je voudrai dire, tout ce que j’arriverai à dire. Par amour et par dépit aussi. Avec humour et désespoir. Sur les hommes. ( à suivre )

 (Au détour ou sous l’impulsion d’une consigne # 12, elle a dans une main son opuscule de 2006 et dans l’autre le premier feuillet d’un manuscrit qui sera peut-être comme une revisite 20 ans plus tard …peut-être, peut-être pas…Merci à FB et Merci à EC elle saura pourquoi )

Extrait de :  L’homme est -il un mâle pour un bien ?

2006. Le mâle est une femelle modifiée. Voilà qui est dit. On n’y reviendra pas. Encore que […] Suite de la page 17. C’est sans appel. A quelques millions d’années près, le mâle est une invention récente dans l’histoire de l’évolution. A l’échelle d’une vie c’était hier. Bon d’accord avant hier.

2026. Peut-être qu’il aurait fallu écrire cette explication neuroendocrinologique dans les premiers livres d’école, la lire et la faire lire à la première leçon de sciences naturelles sur l’origine des choses et des êtres. On ne savait pas, alors on a brodé. On a très vite parlé de sexe fort et de sexe faible. On en est resté là pendant longtemps. Très longtemps. On s’est trompé. Les histoires de chromosomes sont, comme celles des hommes avec les femmes et réciproquement, compliquées. Mais il est une protéine, la Testis determinating factor, qui, c’est facile à comprendre, génétiquement codée fait toute la différence. Elle n’agit pas et ce sera une fille. Elle s’agite et avec elle les hormones masculines, et ce sera un garçon.« N’en déplaise aux théologiens, la femelle n’est pas un mâle auquel on aurait retranché quoi que ce soit. C’est même le contraire »*. Le cerveau primordial est le cerveau femelle. Le mâle en devenir doit sa destinée sexuée à la préexistence de la femelle. Décliner, comme une conjugaison au passé, présent et futur, même imparfait, tout ce que le petit homme qui pousse son premier cri doit à la femme, sa mère, et aussi aux autres qu’il croisera ? Le respect, a minima. Un jour de juin, dans l’école d’une petite bourgade de province, avant la fin des devoirs, des bousculades dans les couloirs, avant le silence retombé dans la cour de récréation, six garçons ont agressé sexuellement deux filles de leur classe. Même âge, huit ans. Peut-être que le juge des enfants sanctionnera, comme il devra, que l’éducateur recadrera, comme il pourra. Qui d’autres pour inscrire dans la tête de ces petits hommes l’origine de l’origine, le qui a fait quoi pour qu’ils existent, qu’avant eux il y avait leurs mères, et les mères de leurs mères. Qui d’autres pour leur faire entendre et ne jamais l’oublier que ces petites filles prises pour des poupées qu’on a déshabillées, abimées, deviendront des survivantes d’un cauchemar à jamais cellulairement inscrit. Peut-être que plus tard, sur ces six jeunes, l’un comprendra, se reprendra, se tiendra droit devant lui pour le reste de sa vie, un autre récidivera et la prison deviendra sa maison, un autre encore deviendra éducateur à son tour et toute sa vie tentera, sans jamais y parvenir, de réparer cette enfance honteuse, un autre encore mourra jeune sans qu’on sache vraiment de quoi, un autre cherchera désespérément l’amour dans les yeux des femmes qui ne le regarderont pas, le dernier aura tout avoué, comme un soulagement, une délivrance face à ses errances, lors d’un séjour dans un hôpital psychiatrique après une dépression qui n’en finissait pas de l’entrainer vers les portes du suicide. Peut-être qu’il faudrait tout recommencer. Reconnaître l’enjeu primordial entre les mains des femelles qui pourraient un jour, de guerre lasse à faire et réinventer la paix, inactiver, pour un temps, la protéine magique. Décider de rester entre elles. Pour un temps de répit. Pour ne jamais arriver au bout de l’impasse. Le dépit. Impitoyable.

NK2 – 22 février 2022 Netkulture.

* Cerveau féminin, cerveau masculin, Prof. Jacques Baltazart, ed.Alpha

A propos de Eve F.

Rédige des assignations et des conclusions, défend le veuf et l'orpheline, écrit sur le Droit et son envers, la Justice et ses travers, le bien-être et son contraire, les hommes et pas que, le bruit du monde et ses silences, aussi.

11 commentaires à propos de “#rectoverso #12 | Burning man”

  1. je t’ai bien imaginée entrant chez toi, te débarrassant de tes chaussures et dossiers et te jetant sur le canapé avec le livre…
    et, reparcourant tes quatre lignes de biographie, je trouve soudain écho à ton texte en ces mots qui souhaitent te décrire : « défend la veuve et l’orphelin »!
    mais je me demande quand même ce qui t’a conduite à ce point de colère…

    • ..Merci à toi! oui la vie est surprenante… comment les évènements s’enchainent… merci de ton passage!

  2. Le livre pot de colle, le livre quatre heures, on chemine avec plaisir d’une pierre à l’autre, dopé par cette énergie intense. Et, comme Françoise, en attendant quelques éclairages.

  3. « L’homme est -il un mâle pour un bien ? » bonne question en effet…Très intéressant, enlevé, et la colère ne nuit pas à l’écriture mais lui donne une belle énergie…
    Il y a tant et tant à faire pour que les hommes respectent enfin les femmes (#not all men certes #but too many)
    Merci Eve

    • merci pour ton retour qui me fait chaud au coeur. oui pas tous mais trop … encore. et nous avons tant à faire ensemble… un chantier qui n’en finit pas.. merci beaucoup de ton regard sur ce texte.

  4. Le livre peau de colle.
    Je suis si heureuse que tu t’empares de ce sujet. De lire la génèse. Le cran qu’il faut pour passer de l’agacement à la construction. J’ai l’impression de baisser les bras si souvent… La découverte aussi, de ton angle de vue (étayé par le Professeur Jacques Baltazart, qui rappelle avec sa maison d’édition qu’Alpha n’est pas seulement un mâle). Tes 6 bonshommes (je viens de lire Le Vallon), ils font penser à une structure façon 10 Petits Nègres (oui, je sais, on ne dit plus ça, mais c’est dommage, une comptine est une comptine). Donc, à quelle sauce vas-tu nous manger ? Un pamphlet ? Un polar ? Un essai ? (Si polar, as-tu lu La 7e Fonction du Langage de Laurent Binet ? C’est Ugo Pandolfi qui me l’a conseillé…)

    • ..Merci à toi! une idée parmi d’autres… l’écrire à quatre mains.. avec un homme…à voir si je persévère…
      percez et vous verrez dans la langue des oiseaux…

  5. J’ai lu cette petite phrase d’ouverture d’un roman : » Que ce soit les sentiments qui amènent les événements. Non l’inverse. » Robert Bresson/ notes sur le cinématographe.
    Et je trouve une belle illustration dans tout texte. Sur le choix des livres, du sujet. Et fon texte aurait pu être un essai, un rapport, un pamphlet ou autre… mais non, c’est de l’écriture, dynamique, mais distanciée et qui appelle la suite…

  6. Merci pour la force de ce texte, pour avoir trouvé la façon de transformer, par les mots, la colère et l’indignation en énergie elle-même transformatrice.