#rectoverso #01 | Le village

RECTO, LE VILLAGE

Après deux mois de travaux, la route a été réouverte ce matin. Plus de feu rouge, plus de déviation. La traversée du village est à nouveau possible. Un village de 800 âmes. Bâti le long de cette route, depuis longtemps. Mais la route est toujours aussi étroite. Les voitures se croisent avec précaution, les camions causent des embouteillages. Les piétons se collent contre les maisons. A l’entrée du village, côté gauche, l’école publique élémentaire, bâtiment bas aux vitres nombreuses, cour bétonnée entourée d’une grille de protection, fermée par un portail en fer forgé. Un parking ombragé. La cave coopérative. Plus loin, la supérette et une petite cour pour la voiture des clients. En face la boutique du coiffeur qui officie en vitrine, la boulangerie, la boucherie. Plus loin, vers la sortie, un garage et un poste à essence, une douzaine de maisons de vacances et une aire de jeux, et un autre parking ombragé. De l’autre côté, une pharmacie, une maison de santé affichant les panneaux brillants des infirmières, kinésithérapeutes, du dentiste, de l’orthophoniste. Un chemin qui descend à la rivière. A mi-route, au centre, sur la place du village, s’élève la mairie aux arches vitrées qui héberge aussi l’office de tourisme, ensuite l’église romane classée du 12e siècle, deux tours carrées aux toits pointus et un lourd portail en bois clouté, devant une grande aire sablée qui sert de terrain de boules en été, protégée par un grand tilleul. Plantés en bordure, une croix en pierre et le monument aux morts, une stèle sobre avec deux colonnes de lettres dorées, les noms de ceux qui sont tombés pendant les guerres du dernier siècle. Au bout le bureau de poste en fonction cinq matinées par semaine quand tout va bien, un distributeur de billets, et la bibliothèque municipale, deux petites salles remplies d’étagères et de livres, en deux niveaux reliés par un escalier en colimaçon. Les deux bistrots ont fermé, les gérants sont partis, la pizzeria n’ouvrira pas cet été, trop de travaux à prévoir, personne n’en voudra. Le village est joli, bien entretenu, rues et places fleuries, de la fontaine coule l’eau fraîche potable. Les jardins sont cachés derrière les façades et s’étalent le long de la rivière, les jolies villas ont été bâties plus tard, plus loin. La résidence médicalisée est accrochée au flanc de la colline, en dessous des falaises blanches qui surplombent le village. La route continue à longer la rivière. Tranquille.

VERSO, LE MARCHÉ

Sur la place de la mairie, le marché s’installe comme tous les samedis matin, stands de miel, d’olives, camion de fromages du pays, marchands de légumes, d’épices, de fleurs, les gens font la queue, s’interpellent, se croisent, s’embrassent. Les dernières nouvelles circulent. Un homme en salopette bleue, chapeau de paille sur la tête, parle fort en jetant un coup d’œil vers le café aux volets fermés, « Il paraît que notre bistrot va ouvrir dans une semaine, il y a de nouveaux gérants, un couple… » Remous dans la file, deux femmes aux cheveux blancs, cabas bien remplis, approuvent en souriant « et le club de scrabble pourra à nouveau s’installer tous les matins avec un petit café, on le fera savoir à tout le monde » Le marchand vante ses légumes, pèse les cerises et les abricots, propose des melons bien mûrs «  mais c’est toi qui les choisit, Richard, je n’y connais rien » et il fait humer le parfum sucré et il frappe de la main les deux melons dorés qui rendent un joli son doux « tu entends, il te dit qu’il est à point » et on fait confiance à Richard qui vient depuis des années pour vendre ses produits « et ce pot de basilic, il t’intéresse ? Pour faire un pistou ? Avec les belles tomates anciennes, celles qui ont du goût ! » et on écoute Richard qui et toujours de bon conseil et on achète. Mais il fait trop chaud ce matin pour s’attarder, malgré les parasols déployés sur la place, « il faudrait tout de même qu’il pleuve, tout est sec, le niveau de la rivière a baissé », ce n’est plus le courant vert transparent rafraîchissant, l’eau coule lentement, paresseuse, stagnante çà et là, « bientôt il y aura à niveau ces algues bleues toxiques pour les animaux et même pour nous comme l’année dernière, qui sait si on pourra aller y nager ? » L’horloge de la mairie sonne midi, les groupes se séparent, « ce soir, sur la place, il y aura des musiciens, une petite fête, je descends avec mes petites, on va danser, on se régalera, tu viens aussi ? » un petit geste d’adieu « j’aime bien danser, alors…si le café avait déjà ouvert, on aurait pu s’asseoir pour manger une glace !»

Monika Espinasse

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.

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