#rectoverso #02 | Noctiliens

RECTO

À ce stade de la nuit, je me demande à quoi ressemble ce quartier de Clichy-sous-Bois à la limite de Livry-Gargan — à quoi il ressemble quand le bar des ouvriers portugais, le Burger King, le Jardiland, le Centre Leclerc sont fermés — quels néons dans la nuit, quels passagers descendant du dernier tram, quel kebab sans clients où la viande du jour n’est plus qu’un moignon desséché.

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À ce stade de la nuit, je me demande à quoi ressemble mon quartier quand les derniers dealers ont quitté le trottoir — est-ce qu’il en reste un, chargé de pourvoir aux besoins des insomniaques ? Et la pharmacie 24/24, avec sa croix verte dans les flaques de la dernière averse, à quelle douleur soudaine, à quel accident domestique peut-elle répondre en attendant que remonte le jour ?

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À ce stade de la nuit, je pense aux corps endormis dans les Noctiliens, ces autobus aux lumières tamisées qui partent du centre de Paris et s’enfoncent en étoile vers les banlieues lointaines, chargés de fêtards et de travailleurs aux yeux rougis de fatigue.

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À ce stade de la nuit, j’écoute ce que d’autres écoutent en FM, à deux ou trois fuseaux horaires de distance, dans leurs voitures en traversant des villes que je ne connais pas : Minsk, Lviv, Batoumi, Erevan, Sotchi, Moscou. Feux rouges biélorusses et rues vides en Arménie, Charlie XCX, Ed Sheeran, Sabrina Carpenter, Céline Dion, pour tous.

VERSO

Et je me souviens de ce camping dans les Landes, en juillet 1983. Les tentes sous les pins, leurs aiguilles dans les tongs. Des forains avaient monté des gradins en bois et installé une grande toile blanche. Il avait fallu attendre la nuit avant de s’installer pour une projection de « La cage aux folles ». Je me souviens de ma gêne de gosse, de mon malaise — fallait-il en rire ou penser à autre chose…fallait-il s’y voir en reflet, soi-même projeté, ou attendre que ça passe. Vivement le mot FIN.