#rectoverso #04 | à reculons

RECTO

Des blouses grises et bleues, des préfabriqués, des vastisas et l’origine du mot, was ist das?, des murets, des marches en cairons, des grillages, un portail, un couloir, ce qui pourrait définir une prison. C’était l’inverse. 

Auguste Comte, le positiviste qui ne respecte pas les règles d’orthographe, 

Les billes, et forcément le sac de Billes de Joseph Joffo. L’ai-je jamais lu? Sans doute que si. 

La Font-neuve et nous les filles de Marie Rouanet,

Pagnol et la gloire de mon père, l’oncle Joseph, l’église saint Joseph, Joseph prénom qui marque une époque, et la scansion de l’histoire. 

Ludivine Bantigny, le plus bel âge,

Les cessnas

L’aéromodélisme,

La méthode Freinet,

L’horlogerie, Sergent major, les cartes murales, les moquettes et coussins,

Les tilleuls,

La maison occitane,

Le maquis, la Crète, Knossos, le bouquetin,

La naissance de l’électronique, les fiches perforées,

Le petit chose de Daudet, nous étions à l’Étude, charbovari, l’école normale, les cent pas, les costumes, la cravate, les pulls à col rond, les pattes et les cheveux longs, les lunettes à bord argenté, le poêle et Simenon, la gamelle, le silence, le buvard, les papier peints. 

VERSO

Tu en fais quoi de ces images, de ces noms? Un cliché? De la guimauve? Si tu n’es pas capable d’un peu de hauteur, d’un peu d’analyse, tu vas ennuyer. Du convenu, de la nostalgie, du pathos à foison, et vas-y que ça ruisselle. Si c’est pour raconter l’histoire d’une école dans les années 70, à voir. Les gamins, leurs jeux, leurs ritournelles, le quartier, c’est fait, et bien fait. Faudrait trouver un angle. Moi comme bâtiment. Architecturalement, ce sera vite fait. Dire peut-être l’absence d’âme, la présence d’amiante  sans doute, l’avant dérèglement climatique, les ont-ils changés ces préfabriqués,  tu as pourtant eu l’occasion d’y retourner, la prégnance de la religion catholique, le son des cloches, le départ pour le patronage le mardi quinze minutes avant la sonnerie pour les garçons seulement, pour les filles le mercredi matin, dire davantage les vêtements, le nylon, mais combien déjà dit tout ça dans blog, magazines, quel intérêt? Tu enfiles des perles! Des hommes, à l’exception d’une seule femme à qui on avait fourgué le CP, les petits. En face, à l’école maternelle, des femmes seulement. Dans l’école d’en face, avec encore l’enseigne école des filles, la parité peut-être. Une autre femme, la concierge. Placée là par la mairie car veuve. Depuis quand veuve? Était-ce elle qui était aussi chargée du ménage? A la cantine des employées féminines. Nourrir incombe aux femmes. 
Des détails, des détails! Prends de la distance! La situer dans un quartier, un quartier neuf, jusqu’au nom, une église, une boulangerie, un tabac, un café, une épicerie, plus loin les abattoirs, la caserne des pompiers. En dessous le cimetière, neuf. Neuf le cimetière comme le quartier. Comme l’école : les premiers bâtiments en dur, classiques, et ces préfas qu’il a fallu ajouter avec l’extension du quartier. Période du baby boom. Tu n’es pas sociologue! Veux-tu écrire un essai? De la hauteur et un fil. Les chansons de fin d’année, Adieu monsieur le professeur. Les gamines qui dansent, sont autorisées à dessiner sur le tableau, à amener des jeux de société, à rester dans la classe, les garçons à amener un ballon, plus d’obligation, de la licence, une récréation plus longue que le temps à l’intérieur, temps consacré à réparer les livres abîmés, scotcher la tranche, reclasser les livres dans la bibliothèque. Et tu crois que tu vas aller loin avec ça? Dans deux pages, tu auras fait le tour. Parler peut-être des gitans qui étaient en classe, souvent âgés d’un an ou deux de plus. A leur vêtement on les distinguait, vêtements trop courts, à quoi d’autre? L’alternance garçon fille dans les rangs, un garçon toujours à côte d’une fille, et leurs chaises inséparables, tenues par un bras de fer. Quel intérêt pour autrui? Des prénoms qui marquent une époque, Valérie, Florence, Nathalie, Sylvie, Philippe, Eric, Didier. Aujourd’hui les prénoms des filles finissent majoritairement par un a, les prénoms rivalisent d’originalité. Et alors, tu va nous faire dans le c’était mieux avant? Ça suinte la nostalgie, ça.  Faut trouver un autre sujet. Serais bien flattée que tu parles de moi, mais si c’est pour me caricaturer, sans façon! 

Et s’il fallait se déprendre, se libérer de l’emprise, de ce qui emprisonne, ce contre quoi on se cogne sans cesse. Chercher une autre emprise, un autre terrain d’écriture. Je ne suis pas allée bien loin, à quelques rues de distance, suivre les empreintes d’un chemin mille fois emprunté par la mémoire, mais y aller à reculons, quand il faudrait se jeter, comme on se jette dans la ronde, court de façon endiablée, en criant à tue-tête. N’ai pas osé. Pas encore. 

A propos de Betty Gomez

Lire certes, mais écrire...

8 commentaires à propos de “#rectoverso #04 | à reculons”

  1. Beaucoup aimé le foisonnement du verso indiscipliné par contraste au recto bien sage et attendant quoi faire. « l’histoire d’une école dans les années 70 » et tout ce que ça englobe, ça me parle. Et les devoirs de vacances 🙂 Merci Betty

  2. Je remonte les horloges du temps et de l’écriture avec vous.
    Je ne suis pas allée bien loin, à quelques rues de distance, suivre les empreintes d’un chemin mille fois emprunté par la mémoire, mais y aller à reculons, quand il faudrait se jeter, comme on se jette dans la ronde, court de façon endiablée, en criant à tue-tête. N’ai pas osé. Pas encore.
    Comment aller plus loin
    Vous oserez.
    Merci.

  3. J ai bc aimé ces textes qui font échos au mien , et ces questions que je partagent complètement . Le plus interessant c est le codicille, allez , on attend avec impatience …

  4. Tu fais de ces images un témoignage bien vivant par le détail, et si certains y trouvent des souvenirs, d’autres y voient des images étonnantes, ahurissantes, d’un autre temps. Comme dans un film le décor est superbement planté! Merci!

  5. « prendre de la distance… de la hauteur… » avec « l’emprise » FB nous a entrainé sur des terrains où il faudrait surement  » se jeter  » et « crier à tue tête »‘… facile à dire !! merci pour cette audace de parler des impasses… impair et manque…