L’enseigne bleue de l’Aldi marque l’entrée dans un périmètre urbanisé d’abord en pointillés, par des pavillons déjà un peu anciens avec leurs haies bien taillées, au milieu desquels surgit un cabinet vétérinaire, cube de béton qui semble plus vaste que la petite grande surface qu’on vient de dépasser. Les trois femmes dans la voiture s’esclaffent en moquant la taille du lieu, qui convient pardi bien aux bovins blancs qu’on a vus dans les prés, qu’elles imaginent menés ici à la longe, avec le mépris que les gens de la ville réservent habituellement à la campagne, le plus naturellement du monde, sans penser à mal. Le jeune homme à l’avant continue à se taire. Puis les maisons se resserrent. Elles font un peu plus vieilles, elles sont en pierre, parfois crépies, leurs toits de tuile descendent bas. La départementale tourne en boulevard autour de la vieille ville. L’hôtel Terminus s’annonce le premier, souligné par les croix vertes de la pharmacie qui en occupe le rez-de-chaussée, en face d’un petit supermarché-essence. Juste après, c’est l’Hôtel du Dauphiné dont la façade s’impose dans le champ de vision, avec sa haute façade et le pan coupé de sa toiture. Son nom qui se voit de loin est inscrit en noir, en lettres contournées, au-dessus des fenêtres rouges du deuxième ; un étage plus bas, « bar restaurant » s’étale, dans une autre couleur et une autre police. La typographie n’est peut-être pas très soignée, le bâtiment est bien présent.
« Ça c’est des souvenirs » – c’est le petit qui parle, d’un coup, sans crier gare – il montre il hoche la tête – la route est large en cet endroit, trois voies, endroit très vide, quelques voitures garées sur une petite esplanade devant une série de maisons à toits pentus, toutes du même genre – on ne peut pas dire style, ce sont des maisons communes, avec deux fenêtres à l’étage, une seule en présente trois, une porte plus large en bas, des crépis dans les tons beiges, certains un peu plus marrons, d’autres un peu plus blancs, des persiennes en bois dans les tons gris, certains un peu plus bleus à gauche de la chaussée, ce ne sont pas de petites masures mais elles semblent ratatinées au pied de l’hôtel du Dauphiné, avec de vagues massifs floraux à l’angle des trottoirs, et des arbustes de municipalité, à caractère décoratif, des maisons aucune pareille mais toutes construites sur le modèle de la voisine, c’est différent pourtant de l’uniformité d’un lotissement, la particularité de chacune dans la banalité de l’ensemble, cela fait ville, pas joli mais ville – « ça c’est des souvenirs » dit-il, ils sont arrêtés au feu pour laisser passer une seule voiture qui traverse le carrefour. Longeant la route sur leur droite, une bâtisse, Coralie compte, sept fenêtres à l’étage, six en bas plus la porte au milieu, elle s’impose dans la largeur, quand l’hôtel en face monte à la verticale, elle a un toit d’ardoise comme pour se distinguer des tuiles des alentours, mais elle n’est pas plus pimpante, le crépi s’écaille autant, les garde-corps en fer forgé son rouillés, les volets ne sont plus si blancs, les rideaux derrière les fenêtres sont fanés.
– Là » montre-t-il, « il y avait un grand marronnier, c’était le repère, là qu’on se retrouvait, qu’on venait se réchauffer, boire chaud autour du réchaud. Ça a fait tout drôle quand ils l’ont abattu, comme une époque qui se tournait, » – il a quoi, vingt ans – « On avait nos tours de rôle, ceux qui bloquaient le carrefour, surtout sur les côtés c’était délicat y’en avait qui respectaient pas qui voulaient passer, ceux qui distribuaient les flyers, ceux qui invitaient les gendarmes à boire un coup, c’était pas violent chez nous, mais c’était déterminé, c’est plus pareil depuis qu’ils l’ont coupé ».
Ils redémarrent. Un petit panneau indique « Parking centre ville médiéval, commerces, office du tourisme ».
– C’est joli ? » demandent les archéologues.
– Pas trop, » dit le jeune, il y une vieille tour avec des créneaux, c’est pour les touristes, nous on habite de l’autre côté, faut bientôt prendre à droite, je vous dirai.
L’évocation du Dauphiné, les toits pentus, le marronnier, la vieille tour crénelée et les archéologues : un tableau (presque) sociologique qui me fait sourire. Mais le vide aussi. Merci Laure pour la visite !
Merci Cécile, à vrai dire il s’agit d’un coin de Bourgogne, mais l’hôtel du Dauphiné a donné son nom au carrefour (à moins que ce ne soit l’inverse). Cette dénomination géographique venue d’une autre région m’a plu, je crois.
tout dans ce texte nous conduit à l’élément central : le marronnier, point de repère incontournable, lieu où il se passait quelque chose d’important de l’ordre de l’échange et de la chaleur humaine
aimé le « c’est joli ? » et la réponse du jeune : euh pas trop !
bien à toi, chère Laure
L’arbre sur lequel s’appuie la communauté (sans aller jusqu’au pilier du monde de la mythologie celtique).