#rectoverso #08 | Lucienne Sarraute lu par Nathalie Panhard

RECTO

Sur le mépris né de la prétention d’un tiers à vouloir doubler sa joie. Il nous avait réuni par le passé. Lorsque ma réticence se fait entendre, il répondait l’idée que je ne l’aimais pas puisque nous étions les mêmes. Nos points communs écrasaient nos différences. Bien sûr, nous étions à la mode, obsédé par notre physique et notre apparence, prétendant être des hommes modernes et raffinés. Nous avions même eu une prétendante en commun. Moi au collège et lui dans son lycée. L’élève des champs et l’élève des villes. Aujourd’hui je vois bien que ce que j’essayais de faire était d’hystériser mon individualisme, de dédialectiser mon existence de la sienne et devenir un pur individu. Ces ressources étaient moindres comme les miennes. Parents divorcés, vivant avec sa mère seule dans une ville moyenne. Il ne pouvait jouer le jeu du jeune homme moderne à la pointe de la mode. Ou pour dire cela autrement, il vivait ses passions sur internet au moment où être en ligne était minoritaire. Le local résistait. Les magasins de mode locaux pouvaient imposer des achats puisque les modes parisiennes n’étaient connues et suivies qu’aux « fils de bourges ». Pour les autres, c’était les magazines, les émissions de télé et internet mais bien sûr, la translation au contexte local pouvait rater. On pouvait devenir l’objet de moquerie. Il eu la chance d’échapper à tout cela. Il était un passionné de baskets et de marques classiques. Un jour que nous buvions, il me demanda si cela ne me dérangeait pas que mon polo Ralph Lauren avait cette longueur en plus à l’arrière qui couvrait mes fesses. Il avait une sensibilité particulière qui me le rendait imprévisible, impertinent et illisible. Il était certainement moins rustre que ma bande d’ami.

VERSO

Je ne le connaissais pas et franchement je m’en foutais. Je pensais que J**** en faisait de trop. Il n’arrêtait pas de me dire qu’il fallait que je le rencontre et qu’il serait de retour de Grande-Bretagne pour les vacances, que nous avions les mêmes passions. Il est arrivé tout gonflé dans les bras et les pecs. Il achetait bien mais sans passion ou connaissance. Il y allait aux couleurs et aux matières. J’avais fait remarquer à son pote qui se moquait de ses New Balance qu’elle était super rare. Elle était brune et blanche, complétement en cuir avec des patterns différents selon les parties de la chaussure. Lui, les adorait et avait une sorte d’indifférence à notre avis ou à la rareté du modèle. Il était finalement un marginal malgré sa sape. Il me contacta des années après pour me questionner sur mes études d’économies. L’idée d’une rencontre fût évoquée mais rien n’en ressorti. Il avait dû me prendre pour un autre. Ces attentes étaient très grandes et je n’osais lui dire que je n’avais fait qu’une licence d’économie. Je voyais bien que cela suffirait pour le corriger sur quelques points mais l’idée d’interagir avec lui de cette manière, et d’ailleurs avec quiconque, me déplût. Voilà… tout ce que je sais de lui.