Mains deviennent puits dans lequel tu recueilles l’eau, mains et pouces collés, deux doigts qui s’agitent, deviennent ailes, et ton souffle devient cri de la chouette, mains crochetées s’ajoutent, forment un tuyau, un couloir, une lunette sur le monde. Viseur. Un oeil fermé et disparaissent le monde, les autres, les cris des enfants, un oeil fermé et le réel recule. Tu décides, tu dessines le monde, sélectionnes. Devenu voyeur, tu parcours le monde selon ton gré. Cadres. Arrêt sur le feuillage. Tu lèves la tête, lèves les mains collées contre ton oeil ouvert et saisis pour toi seul un coin du ciel.
Un grillage, une cour, une margelle en béton, une haie de fusains. Pieds des arbres à hauteur de taille d’enfant. A genoux sur la margelle, mains dans la terre, attraper à l’aide d’une branchette un lombric, suivre les contorsions du ver, en estimer la longueur. Décoller un escargot du sol, appuyer doucement sur sa tête, regarder les cornes disparaître. Laisser grimper la coccinelle sur sa main, tenter de sentir le poids de ses pattes, leur mouvement. D’un souffle, la regarder s’envoler. Regarder le ciel s’obscurcir, venir les étourneaux qui regagnent les vignes, saisir un peu ce que doit être l’infini. Sentir l’odeur du marc du raisin, savoir que les vendanges s’achèvent.
Entre les barreaux, viser avec l’iPhone la cour, la double haie d’arbustes. Chez soi, sur l’écran de l’ordinateur, à des années-lumières de là, essayer de retrouver.
Les arbustes ont été proprement taillés, pesticidés, à leur pied une pelouse synthétique, les parents d’élèves, le conseil des maîtres, le maire, le ministre, sont formels, il est rigoureusement interdit que les enfants puissent mettre un caillou à la bouche, attraper le choléra, le typhus, le tétanos, la rage ou le goût du toucher en jouant dans la terre, en mettant des insectes dans la bouche, en mettant les mains à la bouche, en touchant une plante vénéneuse, en mangeant une baie toxique, en se salissant les ongles, les doigts, les cheveux, les vêtements, et les enfants d’acquiescer, de jouer le jour avec le plastique, l’herbe synthétique, le pétrole, et les enfants de pêcher, de bâtir, de jouer le soir sur leur tablette vidéo avec poisson, cabane, ville, animaux virtuels, dans la lumière bleue, bleue, bleue.
Texte fort sur cette distance obligatoire avec tout ce à quoi on appartient. La terre. Merci pour la poésie du rapport aux vers de terre, escargots, coccinelle… précieux alliés pour nous tous, dans le même bateau!
Merci Eve pour lecture et retour.
oh dommage ! j’aurais tellement voulu que ça continue !!
vraiment réussi, et ça touche juste, exactement là où il faut, mais qu’est ce que c’est que cette époque qui veut toujours protéger coûte que coûte de tout et de rien au point qu’on ne sait plus vivre
j’ai aimé la présence forte des animaux, ils comptent pour moi aussi tout le temps
merci Betty pour ce texte important…
Merci Françoise 🙂
j ‘ai aimé les passages poétiques où la nature est reine et puis, le contraste et toutes ses accélérations où rien ne va plus et où les enfants sont aux premières loges …
Merci Carole. Et à bientôt de te lire.
J’aime beaucoup cette attention au monde et le regard ironique à la fin sur notre époque qui oublie la nature.