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Seconde partie
Préface
I. Période, 2020-2051
II. Figures majeures de la période
Sidoine-Gabrielle Collète, Josephina Pagazza, électrornithologistes ; George Baron, Marjane Rabrojic, conteuristes écomoniales ; Nicolle Flanelle, écophilosophe ; Samira Bentj, écoterroriste ; Malika Juba, marionnettiste.
III. Courants esthétiques et idéologiques
Écopoétique féministe, électrornithologie, biofictions, généalogisme, bunraku, néomonachisme, transécoterrorisme, passéisme progressiste (ou conservatorisme).
IV. Événements marquants
Grandes épidémies (2020-2040). Dynamitage écoterroriste de la Tour Eiffel (2026).
Assassinat du président D. Trump et guerre civile étasunienne (2027-2032)
Guerre des Trois Jours (2034), bombardements et destruction des grandes capitales occidentales.
La Grande Catastrophe (submersion des îles du Pacifique, de vastes régions de l’Europe occidentale, du Japon et de la péninsule indienne, activité tectonique intense, séismes et volcanisme dans la Ceinture de feu du Pacifique) (2030-2038).
La Grande Glaciation (affecte progressivement les latitudes supérieures à 50° de l’hémisphère nord) (2045-2051)
V. Œuvres principales ou travaux en chantier dans la période
Anonyme, Carnets d’oiseaux du parc de Cerisy. Josephina Pagazza et Sidoine-Gabrielle Collète, Invention, multiplication et éducation des oiseaux et insectes électrico-mécaniques : électrornithologie, méthode. George Baron, Contes violets, Physiologie des tapis volants, Marjane Rabrojic, Oiseaux de laine. Dernières leçons de tangos, Rêves et souvenirs gelés. Collectif, Manifeste de la Caudale de Libération des Cétacés.
Création des IRCE (Îlots de Résistance et de Conservation de l’Écrit) et fondation de l’UIS (Union Internationale des Scriptoriums)
Création de la FLI (Flotte Libre Internationale, tendance anarcho-communarde)
VI. Épicentres géographiques (lieux)
Île du Cotentin, foyer conventuel et scriptorium de Cerisy-la-Salle (Europe occidentale)
Commune écomusicale de Xin Qin (Chine continentale).
Forteresse du Djebel Toubkal, Haut-Atlas (Maroc).
Communauté autonome « Hildegarde de Bingen » du territoire libre de Trente.
Territoires indépendants fédérés des villes picardes et de l’île de Saint-Omer.
VII. Bibliographie
en cours de reconstitution
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Préface
Nous ne disposons malheureusement que de peu de documents pour l’étude de cette période, les scripteurs des années 2020-2030 ayant pris la malencontreuse habitude de ne plus utiliser que des supports électroniques virtuels. Leurs « fichiers » étaient stockés dans un « cloud » et ce qu’ils appelaient des « datacentres » installés dans les latitudes élevées de l’hémisphère nord, centres qui ont été noyés lors de la Grande Catastrophe. Ils n’étaient d’ailleurs plus correctement alimentés depuis des années en raison de la pénurie d’électricité[1]. Nous avons ainsi perdu la majeure partie des productions scriptées de cette époque.
Ne sont parvenus jusqu’à nous que des documents scriptés sur papier, ou tissés, ou brodés sur tissu, ainsi que de trop rares livres imprimés, qui étaient alors conservés dans quelques lieux privilégiés et ont échappé à cette curieuse coutume du « désherbage », coutume sur laquelle nos spécialistes continuent à s’affronter[2]. S’agissait-il, comme l’admettent la plupart de nos spécialistes, de nettoyer le papier des mousses, champignons et insectes qui l’attaquent, nettoyage maladroit et brutal qui a détruit tout ou partie des livres, ou bien, comme le prétend l’hérétique Wu-han Dubois, horresco referens[3], cette pratique consistait-elle à jeter des livres ? Certes, il s’appuie pour légitimer sa thèse sur un témoignage écrit, mais ce document est incomplet, unique, et n’est nullement corroboré par un autre document. Qui pourrait vouloir jeter les livres d’une bibliothèque[4] ?! ils sont si rares et précieux.
Nous avons ainsi retrouvé et recopié des livres imprimés de la période antérieure à la Grande Glaciation, conservés dans les communautés conventuelles écoféministes créées au début de la période, entre 2025 et 2034. La Guerre des Trois Jours a détruit irrémédiablement les grandes bibliothèques des capitales occidentales. Par ailleurs, depuis les années 2020, de plus en plus de textes n’étaient plus disponibles que sous forme électronique. D’autres livres regroupent des scriptions qui étudient des textes qui ne nous sont pas parvenus et que nous ne connaissons donc que par ces études. Il est probable que ces textes glosés étaient de grande valeur, mais ils ne sont hélas pas parvenus jusqu’à nous. Nous n’en connaissons que l’auteur, et parfois le titre. Ces scriptions permettent parfois de les imaginer voire de les reconstituer, ce qui a ouvert un immense champ d’étude aux scripteurs de notre XXVIe siècle.
Enfin, dès le vingt-quatrième siècle, nous avons commencé à rassembler les papiers apportés par celleux et celleuses qui avaient trouvé refuge dans les communautés libres ou les scriptoriums dédiés à l’étude.
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V. Œuvres principales
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Ces œuvres ne nous sont que très imparfaitement connues. Ce sont des bribes, feuilles volantes, pages de carnets, cahiers… Ces papiers d’une grande fragilité, souvent déchirés, incomplets, ont subi les intempéries ; leur encre est délavée, effacée, ce qui ajoute à la difficulté de déchiffrement de l’écriture manuscrite, souvent raturée ou surchargée de ces carnets. Parfois, ces bribes avaient été imprimées, ce qui en rend plus aisée la lecture. Enfin, le lexique en est parfois étrange. Il est difficile d’évaluer la valeur et l’importance que ces scriptures avaient pour leurs contemporains. Leurs auteurs étaient-ils connus et reconnus d’un large public ou seulement d’un petit cercle de familiers ? s’agit-il au contraire de scriptures intimes ? il est possible que ces fragments soient inachevés. Il est légitime de se demander s’ils l’ont été volontairement.
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Pour certains de ces papiers, ceux de George Baron par exemple, nous disposons à la fois de bribes de feuilles manuscrite et de feuillets imprimés. Certains passages se recoupent. La version imprimée pourrait être la plus achevée, mais là aussi, nous observons des variations.
Un courant des études scriptoriales s’attache à enquêter sur la personnalité de cet auteurice. Homme, femme, trans, neutre ? rien dans ses écrits ne permet de trancher.
La manière dont ses feuillets nous sont parvenus (roulés et enfermés dans un tube de carton, lui-même enfermé dans un étui de cuir, enfermé avec des vêtements de laine dans une malle métallique, et retrouvés dans le bâtiment scriptural de l’île de St-Omer) ne fournissent pas d’indices suffisants.
Nous pensons, quant à nous, que cette recherche biographique est vaine. L’essentiel est dans les scriptures, dans ce qu’ils nous disent du monde d’avant. Ainsi ces fragments de cartes imprimées qui illustrent le scr.10.3, que nous reproduisons ci-dessous :

Il semble que les routes soient bordées d’arbres. Pourtant G.B. n’évoque que rarement les arbres, à l’exception du lilas, pour lequel Iel semble avoir une préférence. Cet arbre disparu colore son monde, ainsi qu’en témoigne ce fragment du msc. 231 :
C’est un berceau blanc où dort un bel enfant
un enfant tout rose et blanc un bel enfant blond
pour la fête elle s’était fait
une robe de lilas de mousseline blanche
On retrouve l’attention portée par le courant écomonial aux tissus, ici la « mousseline », dont nous ignorons la texture, mais que nous pouvons imaginer proche des mousses qui subsistent depuis la Grande Glaciation. Le blanc évoque peut-être la neige et la glace, mais il n’est pas certain que George ait vécu jusqu’aux années 2040. Ou bien est-il né, comme le pensent certaines chercheuses, à la fin du XXe siècle, époque où le climat était encore relativement froid ? peut-être les arbres étaient-ils si communs, si nombreux qu’on n’y prêtait pas attention et qu’on ne pensait pas à les protéger?
Le blanc est certainement pour iel le symbole du luxe, comme en témoigne cette
tasse à café en arcopal blanc décoré d’une frise de fleurs stylisées rouge et orange [5].
Le mot « arcopal » sonne comme résonnerait une substance précieuse dont nous avons perdu le secret.
Autre blanc, le blanc du sucre, ce produit de luxe aujourd’hui inconnu,
la vergeoise[6]
blonde et dorée
le sucre
blanc
brillant
givré cristallisé[7]
Et bien sûr, le violet, qui a donné le titre à son recueil de fragments, et la violette, couleur et fleur, aujourd’hui presque disparues. Presque, car les écomoniales de la communauté Hildegarde de Bingen de Trente pensent avoir retrouvé cette espèce au pied de leurs montagnes.
violet sombre passé
violet pâle parme
passé passementé
violet bleu gris
violet mauve[8]
[1] Überflutung von Rechenzentren un Datenverlust im 21. Jahrundert, Erika Kreil, Trente, 2402.
[2] Voir à ce sujet « La pratique du désherbage au début du XXIe siècle en Europe occidentale, in Actes du colloque de St-Omer, Ahmed Kuvalico dir., Bablieo, 2426.
[3] Expression ancienne (provenant peut-être d’une langue ancienne, le latin) découverte récemment, et signifiant « quelle horreur ! »
[4] Lieu où étaient conservés les livres avant la Grande Catastrophe. Équivalent de notre « scriptorium » (mot également d’origine incertaine, peut-être aussi du latin).
[5] Scr. 3.5, in Contes violets, George Baron, écrit vers 2025-2027
[6] Que pouvait bien être cette vergeoise ? était-ce un animal, un oiseau, aujourd’hui disparu ?
[7] Scr. 3.8, op. cité
[8] Scr. 3.12, op. cité
Magistral ! Fortement impressionnée.
Excellent ! ça aide et ça montre le chemin !
Admirative de ce très beau texte ! Quelle belle réponse à la consigne,.
Merci Georges, en vous lisant je commence à entrevoir des pistes d’écriture…
Remarquable.
Dommage qu’il ait cessé d’écrire vers 2026 après des débuts fracassants.
Puis-je me permettre de faire remarquer à l’honorable archiviste que op. cit. est l’abréviation de opere citato et le prier de corriger les petites coquilles qui se sont glissées dans les références de son magistral mémoire.
On ne sait pas grand-chose de la vie de GB. Les quelques fragments parvenus aux archivistes du XXVe siècle ne sont pas précisément datés. Seuls les « Contes violets » peuvent être situés entre 2025 et 2027. Et on n’est pas certain que GB ait vraiment édité ce recueil. Il est tout à fait possible qu’il ait vécu jusque dans la dernière décennie de cette période (2040-2050).
En ce qui concerne les références et les abréviations, beaucoup de connaissances se sont perdues à la suite de la Guerre des Trois jours et de la Grande Catastrophe. Les règles et conventions en usage au début du XXIe siècle ou se sont perdues ou ont été modifiées au cours du temps… ce qui explique les coquilles et erreurs de l’archiviste du XXVe siècle. Il va cependant relire attentivement son travail et y apporter les corrections nécessaires, dès qu’il le pourra.
Il a tout son temps
Superbe, impressionnant, magistral comme dit Louise. Ce doute permanent à cause de sources manquantes ou controversées est très intéressant. Parmi les œuvres principales de la période, j’ai retenu en particulier « Invention, multiplication et éducation des oiseaux et insectes électrico-mécaniques »… Bref, bravo !
ne m’attendait pas à de tels déplacements via cette proposition, et les photos démultiplient encore !
Merci à vous tous et toutes pour vos lectures et commentaires!
J’ai, de mon côté, commencé à lire les écrits de ce volet #14.
Je ne sais si cette tendance se confirmera, mais il me semble que les femmes y tiennent – pour le moment – un rôle majeur…
Je joins mes appréciations élogieuses à celles de mes camarades. On sent que vous êtes à l’aise avec la SF.
Génial , ce texte ! Bravo pour la mise en abîme dans ce lieu d anticipation . Impressionnée par cette lecture . La bibliographie incroyable.