vers un écrire/film #01 | une heure de ta vie sans ponctuation

vers un écrire film/ #1 |une heure de ta Vie

La littérature va venir à toi dit le mec sur l’écran de l’ordi tu le regardes assis à ton bureau face à la fenêtre et en bas la cour est déjà un peu dans l’ombre c’est l’hiver tu écris une heure de ta vie de ta vie martèle l’auteur de l’atelier en te pointant du doigt tu commences enfin tu as envie de commencer mais avant de commencer tu entends que la machine à laver finit son essorage frénétique elle cesse de secouer le meuble dans une série de hoquets bruits de freinage grincements de courroie et enfin le long râle du moteur exténué tu vas chercher l’étendoir posé dans la salle de bain tu remarques sur les carreaux blanc des cheveux des poils des fibres diverses des poussières tu te dis ça s’accumule vite tu as un flash tu vois l’adjoint au maire dans un vieux docu en noir et blanc et avant qu’il ne parle tu le mets en pause et tu chasses la vision tu saisis l’étendoir tu le transportes au salon tu le déplies tu retournes prendre une cuvette et tu vas à la cuisine tu ouvres le hublot de la machine et tu fait dégueuler le linge dans la cuvette tu repères des taies d’oreillers qui doivent être sèches pour ce soir alors tu les extrais de la pyramide instable et les remets dans le tambour tu fermes le hublot et tournes le bouton en position séchoir coton et en prenant la cuvette tu remarques que là aussi dans la cuisine le carrelage blanc montre dans le détail les miettes et tout ce qui a pu lui tomber dessus depuis le petit dèj’ l’adjoint au maire de Paris revient dans ta tête le vieux monsieur très digne est filmé ambiance noir et blanc très contrasté dans un appart’ en travaux raie de lumière sur le sol de ciment clair sur lequel il tient sa canne sur ombre profonde du couloir puis on se rapproche et l’adjoint au maire de Paris dont les rides sont détaillées par la lumière du soleil explique au documentariste que mettre du lino au sol ça permet d’amoindrir les bruits de pas et que le carrelage blanc c’est fait exprès pour éduquer les locataires et les obliger à nettoyer régulièrement ok ok tu as compris donc tu vas chercher l’aspi c’est fou quand même depuis toutes ces années tu repense à cette séquence et tu maudis ce mec presque chaque fois que tu poses les yeux sur ton carrelage mais tu passes quand même un coup dans la salle de bain un coup dans la cuisine puis tu ranges l’aspirateur tu frôles la pyramide de linge humide qui s’affaisse devant toi dans sa cuvette et tu ne peux pas faire autrement que d’aller l’étendre ce linge enfin tu vas à ta chaise t’asseoir devant tes écrans il reste un peu de soleil rosissant les nuages derrière l’immeuble d’en face qui ferme la cour vide et calme pas de passage un couple de pies en profite pour s’affairer en caquetant d’un arbre à l’autre quelques sirènes et une dizaine de cars a lumière bleue qui se suivent au delà du cimetière te signalent qu’un bataillon de CRS rentre du boulot quelle heure de ta vie choisir tu te demandes tu as soif tu quittes ta chaise et vas à la cuisine il reste des feuilles de thé dans la théière tu les as déjà infusées deux fois une troisième est tout à fait possible et ça fera un thé léger avec plus trop de théïne tu prends la carafe d’eau filtrée et tu verses un litre dans la bouilloire-a-thermomètre-incorporé tu appuies sur le bouton principal cent degrés direct des leds s’allument pour montrer que ça travaille que ça chauffe tu retourne à ta chaise dans la cour une vieille dame revient de ses courses elle a bien du mal à pousser le portail faire cinquante mètres et gravir les trois marches du perron de l’escalier d’en face avec son caddie a roulettes qui semble bien lourd sa canne et la rampe a tenir une heure de sa vie à elle l’épopée de ses courses du jour et tu entends un bruit d’ébullition dans la cuisine la bouilloire sonne et sonne tu retournes à la cuisine tu saisis la théière le piston tient les feuilles bien comprimées sous sa garde tu lui tire dessus il sort du Pyrex en rugissant tu prends la bouilloire tu verse l’eau et les feuilles tourbillonnent en montant ballet libératoire en route pour la troisième infusion tu l’emmènes avec un mug tu les poses devant l’écran annexe maintenant le mec sur l’écran pointe du doigt les feuilles qui nagent en rond dans le Pyrex une heure dans la vie d’une feuille de thé tu regardes sur l’écran ce doigt que le grand angle de la caméra rend énorme par rapport à sa tête tu commence a ouvrir le traitement de texte mais tu ne peux pas rester sur ta chaise tu vas à la cuisine ouvres le frigo choisis une pomme refais le chemin inverse tu t’assieds tu croques la pomme tu veux ouvrir le traitement de texte tu tiens la pomme de la main gauche un petit morceau de chair sucrée tombe sur le bureau tu ramasse le morceau de la main droite et tu tiens la pomme en l’air dans la main gauche tu sens du jus de pomme couler sur ton poignet gauche et commencer à glisser dans ta manche tu as du jus sur les doigts et sur les mains tu ne peux plus toucher à ton clavier ni à ta souris ni a rien tu finis de croquer le trognon les mains en l’air tu vas le jeter le dans le compost à la cuisine tu te laves les mains en considérant le bac-a-compost surperplein ça fait quelques jours que tu n’es pas allé au jardin partagé il faut vraiment aller le vider ce bac en plus il fait encore jour et puis il faut vérifier qu’il n’est pas temps de tailler les framboisiers bon d’accord, mais vite fait tu te dis tu te précipites avec le bac dans la cour puis dans la rue que tu descends tu ouvres la grille du jardin une silhouette penchée sur un cardon cherche à l’envelopper avec du non-tissé pour tenter de le protéger du gel peut-être tu dis bonjour pas de réponse tant mieux tu te dis ça ira plus vite tu va vérifier les bourgeons ça gonfle un peu mais ça va encore une petite marge, quelques jours tu ouvres le capot du composteur collectif toujours une petite appréhension de ce que tu vas y trouver ça a l’air d’aller pas d’objets incongrus pas trop de gros morceaux tu vides ton bac saisis le ressort a brasser tu le tournes dans la masse humide pour l’enfoncer tu le tires pour aérer le tas tu emmènes un gros échantillon en plein travail une bonne carotte de compost fumant avec des bestioles surprises en cours de repas à toutes les strates des grappes de vers rouges qui retombent accrochés les uns aux autres se séparent mollement et replongent dans la matière avec grâce pas le temps de contempler tout ça tu mets du broyat mélanges et coupes quelques trognons et peaux de bananes et aussi des carottes et des poireaux quasi intacts que tu n’avais pas vu au début tu te demandes pourquoi c’est arrivé là au lieu d’aller dans une soupe mais pas le temps de gloser sur le gaspillage alimentaire tu dois aller écrire tu écrases encore quelques coquilles d’oeuf pas broyées et refermes le tout tu te remets au bureau tu prends la souris ça se rallume le mec est toujours là en pose avec son doigt tendu tu te gratte un peu derrière l’oreille mais quelle heure de ta vie tu te demandes un message de Belaïd s’affiche sur l’écran de ton tel tu n’y touche pas mais tu pense à la réponse et aussi tu penses à la machine à laver où sèchent tes housses d’oreiller tu entends le souffle régulier du sèche linge tu vas y voir tu croyais qu’elles séchaient mais comme tu pensais déjà à l’atelier d’écriture quand tu as mis en route le séchage tu t’es trompé de programme tu l’a mis sur rincage tu ouvres le hublot les housses sont toutes mouillées tu les remets dans le tambour tu fermes le hublot tu tournes la molette en faisant bien attention cette fois qu’elle soit sur le bon programme séchage coton tu retournes à ta chaise le ciel est gris sombre le jour est couché des lumières se sont allumées en face le grand lustre années cinquantes chez la vieille dame une cuisine ou s’affaire une voisine en boubou des volets de chambre à coucher se ferment un enfant entre dans la cour avec sa mère en poussant un cri de tous ses poumons toujours le même cri de joie ou de terreur en apercevant sa maison et ton écran annexe est éteint tu bouges la souris Youtube te propose plein de vidéos alternatives à celle de l’atelier les feuilles de thé son retombées dans leur bocal tu as soif depuis une heure tu n’as rien écrit