RECTO
à ce stade de la nuit, une brûlure sur la tempe me réveille, piqûre de moustique. J’allume essayant de chasser la bête. Je ne vois rien. Fatiguée, je me rendors le drap tendu au-dessus de la tête. Abri pour rêves chaotiques.
à ce stade de la nuit, j’ère dans l’appartement plongé dans le noir, au dehors les lampadaires grésillent d’insectes, une voiture passe rapide. Sur le fauteuil, un coussin et tout autour, des papiers sur le parquet, ranger ? Ranger. Non, pas cette nuit. Il faudrait allumer. Non, ne pas être sous la lumière vive où je devrais lire, trier. Papiers.
à ce stade de la nuit, je retrouve mon pote trompe-la-mort, celui qui me raconte comment il a pris toute une voie à contresens sur sa trottinette, comment il a mangé un kebab à la viande plus que douteuse et comment il a escaladé une partie de son immeuble pour rentrer dans son 5e étage par la fenêtre entrebâillée de sa chambre parce qu’il avait oublié ses clefs et ne voulait pas réveiller sa daronne.
à ce stade de la nuit, une femme puissante donne de la voix en pleine rue déserte et affirme qu’elle ne se laissera pas faire par son compagnon qui suit à distance.
à ce stade de la nuit, je repasse les nouvelles du monde avec une ou deux phrases que je me répète en boucle, manière d’appréhender la réalité et de me convaincre que malheureusement la banalité du mal existe toujours. Mais aussi que la révolte gronde.
à ce stade de la nuit, je vais sur le balcon et plonge mes yeux dans ceux de la lune.
VERSO
Je regarde les yeux écarquillés le gladiateur géant qui surplombe le cinéma. Passée plusieurs fois devant et aujourd’hui, grand jour, mon père m’emmène voir ce film. Tout le trajet, je n’ai rien dit, impressionnée de marcher avec lui, ma petite main dans la sienne, faisant de grandes enjambées pour être au diapason de son pas. Arrivés devant le cinéma, je détaille l’homme en jupette rouge, muscles saillants, au visage déterminé avec une particularité, une fossette au menton. Nous rentrons. La salle est immense, les sièges aussi. Mon père choisit deux places sur le côté pour pouvoir allonger ses grandes jambes. Je me colle à lui, lui m’explique la révolte des esclaves, Spartacus. La salle s’éteint. La salle se rallume. Nous repartons ma main lovée au creux de sa main calleuse, ses pas de géant et moi qui l’imite.
J’ai bien aimé la fluidité de ces fragments
réaliste le moustique, drôle le pote trompe la mort, tendre le papa et poétique les yeux plongés dans ceux de la lune. Il ya de quoi faire…
Merci Jean-Marie, merci Catherine pour vos lectures encourageantes.
On continue !