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2014/07/09 | d’un livre perdu, insuffisante déploration

Suis tétanisé par ce livre perdu hier et comment ça s’est passé, avec des bouffées d’angoisse disproportionnées. Je viens de lire sur Kindle (le PaperWhite, avec pensée pour ces imbéciles qui pondent des études savantes sur le fait qu’on lirait moins bien sur support numérique), énorme bio de plus de 900 pages dans sa version papier préliminaire, pourtant moins complète d’un tiers. Trois semaines à enfin s’offrir la complexité d’une vie, dans cet entrefer à démêler de l’écriture et de la vision du monde. Et hier matin levé tôt, reprise du petit cahier de notes (pas annoté sur le Kindle, et bien longtemps que n’avais pas acheté un carnet, 60 centimes) et travail sur cette toute dernière période de la biographie, le death diary, les notations sur la douleur. Le livre, maintenant : un gros hardcover, publié en 2005, cher et difficile de se le procurer, j’y avais réussi (une première tentative avait échoué mais Amazon m’avait remboursé, c’était donc le 1er exemplaire), étais passé par Abebooks et l’avais reçu en 5 semaines (le 2ème) et depuis 2 mois il était sur ma table, parce que je devais amorcer autrement le travail, il attendait cet été, c’était mon rendez-vous, et si projet il y a, il en serait l’armature, plus que la dizaine d’autres dont je dispose, tout aussi nécessaires mais pour l’essentiel des Print On Demand. Donc, et alors même que sur le Kindle j’avais encore des tas et tas de trucs à lire (la veille je m’étais offert un moment Borges, et j’ai aussi en cours l’Érastosthène de Crouzet, suis à la moitié et vraiment un page turner), j’embarque le gros et beau livre, et sur la plage je passe au moins deux heures dans la machine qui s’ouvre, troublé de retrouver le GrandPa Theobald 12 ans avant cette fin tellement angoissante dans la biographie. Dans le petit sac à dos, le livre a pris un peu de sable et même un peu de la buée de la bouteille d’eau, je décide au retour de le garder à la main plutôt que le replacer dans le sac. Et le souvenir cesse là. Quarante minutes plus tard, quand je reviens sur la plage à l’endroit précis où on était, plus de livre. Et pourtant il intéresserait qui. Je vais à la cabane de boissons, si des fois quelqu’un l’y aurait déposé, mais rien. C’est une drôle d’île, toute creuse de nécropoles, et hérissée de restes d’une civilisation disparue dont les créations ressemblent bien aux siennes (ce n’est pas un hasard, il se gavait de ces restes de civilisation méditerranéenne au MET de New York, c’est d’ailleurs ce qu’il raconte dans ce livre). Alors aujourd’hui je ne sais pas : pourquoi j’ai embarqué ce livre pour 2 heures de plage alors qu’il ne s’agissait pas de travailler, mais de digérer la fin de la bio, et ces 3 heures le matin sur des notes liées à cette fin. Comment j’ai pu le laisser alors que je savais ce qu’il représentait et la difficulté à se le procurer. Qu’est-ce que cela dit sur rapport au livre (même la grosse édition des oeuvres même je ne l’utilise plus, j’ai tout en numérique et préfère). Et vivre dans l’idée du livre perdu n’est pas une idée claire : l’impression que ce qui est perdu c’est le projet, et ces 52 pages rédigées ces 2 semaines qui en sont l’embryon – or non, bien sûr, elles ne sont pas perdues, ni le cahier avec les notes. Ou même, qu’est-ce qui se jouait obscurément de l’angoisse du retour, provoquant l’oubli du livre (jamais rien oublié d’autre ces temps-ci), ou ces rêves la nuit précédente liés à l’école et que je ne savais plus rien faire, que cet emploi du temps volatilisait ce que j’aurais pu etc. En connexion 3G, j’ai déjà recommandé le même livre. En quatre mois sa rareté s’est accentuée, le prix a monté. Tant pis, pour ce genre de projet qui vous traverse c’est comme une sorte de brûlure. La semaine dernière, mon Toshiba 2 To de sauvegarde a calanché à moins de 7 mois d’usage, c’est un prix à peu près équivalent et ça ne m’a rien fait (sinon que je ne rachèterai pas un Toshiba). Et avant-hier (peut-être aussi c’est pour ça que j’ai embarqué le livre sur la plage ?) j’avais cette bonne nouvelle d’une collection de poches par fascicules de mes traductions, dans des conditions financières plus que correctes et qui rembourseront allègrement l’investissement, mais non – à vingt-quatre heures pile de la perte des Letters from New York de H.P. Lovecraft sur la grande plage de Calasetta, sud Sardaigne, la chape d’angoisse ne s’est pas levée. Ce soir déjà à Olbia, à 352 kilomètres plus au nord, et demain le ferry.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 juillet 2014
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