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2009.09.14 | Québec, chemin vers les écritures du soir

A mesure que je le pratique, je me pose plus de questions sur ce studio aménagé en résidence d’écrivain. D’accord, le plus symbolique, c’est la grande table de travail bois à dessus de cuir et lampe de table, fauteuil à accoudoirs, je n’en aurais jamais rêvé une telle.

La haute fonction supposée de l’acte d’écrire et de celui qui l’incarne : ce sont ces bureaux aussi qu’ont les gouvernants ou les chefs d’industrie. Mais qu’on aille là où ça s’invente, là où ça travaille (y compris les bureaux et salles de réunion des gens de l’Institut canadien à la bibliothèque Gabrielle-Roy), on a d’autres dispositions pour le travail.

Par exemple aussi, le coin salon très cosy avec divan de cuir et deux fauteuils plus table basse, devant énorme armoire : on ouvre l’armoire, elle est occupée par un téléviseur géant, avec enceintes. L’auteur, assis dans son canapé regardant la télévision, ou parce qu’un appartement confortable, ici, est censé disposer de cet outil à avaler les publicités commerciales ?

Moi j’aurais plutôt demandé qu’on enlève tous ces meubles. Dans l’espace de travail dégagé, j’aurais pu mieux marcher et arpenter. Ce n’est pas un lieu réservé à des écrivains. Mais, cinéaste (ah oui, la télévision), bédéistes (une petite table inclinable), ou plasticiens, est-ce que tous, chez nous, on n’a pas en général un vaste plan de travail en planches sur tréteaux, qui permet les bricolages, ou étaler à plat les docs et les livres ?

Par exemple encore, ce minuscule ordinateur qu’on considérait comme familial il y a 4 ou 5 ans : lequel d’entre nous pourrait utiliser professionnellement ce genre d’appareil, son petit écran et sa connexion au ralenti ? Est-ce qu’il n’y aurait pas à inverser les paramètres : penser qu’on a besoin de bouger, poser des appareils, éventuellement planter un ampli ou un violoncelle ? Et qu’un iMac à écran 20" aurait certainement mieux convenu à tout le monde, quelle que soit la discipline ? Bon, je l’ai mis dans un coin, le Windows, mais j’ai bien du mal à traverser les pare-feux de la municipalité de l’autre côté du câble Ethernet : cela aussi contribuant à la concentration, finalement.

Je commence à aimer cette ville, la diversité assez radicale de ses quartiers, cette façon un peu décousue d’assembler habitations et industries, petites poches d’habitation et grandes avenues à échangeurs, et ses cars bringuebalant qui finissent tous par vous ramener rue Saint-Joseph. Sans le studio, je crois que je n’aurais déjà plus besoin d’aller dans ce Vieux Québec où les touristes se font plus rares, sinon pour un raid hebdomadaire dans l’excellente et nécessaire Pantoute (si ce n’est qu’on y est classé dans la littérature étrangère !).

Est-ce que Québec, pour se remettre dans la course par rapport à Ottawa et aux autres, perdrait vraiment à sacrifier ce déluge de couvents et églises qui lui ont été imposé de si loin, et installer du neuf qui cherche, bouge, agit avec ceux d’aujourd’hui – le grand bâtiment coopératif du pavillon Maurice-Pollack, à la station de bus Laval, on est dans un monde qui pose d’autres questions : et là aussi je pose volontiers mon ordi, sur un tabouret de bar, avec le mauvais café de la fac, mais ce brouhaha.

Et ce sempiternel écran allumé avec vue sur... le « centre de la vie culturelle anglophone au Québec » de l’autre côté de la rue : pour cela, la tâche de surveillance ? !

Alors étrange chemin dans le soir, les lumières sur le fleuve et les Laurentides au loin, à la chute brusque de l’autre côté de l’île d’Orléans, puis ces vieux bâtiments, avec ces filles des Ursulines de Tours transplantées là en 1639, imaginer ça, pour soudain disposer de la crypte sous le temple – le temple vide avec son apparat de théâtre désaffecté pour le silence au-dessus de la tête, la vision derrière les grilles de la bibliothèque qui fait l’autre partie du souterrain, et sa lumière de service, puis ces rues que la nuit rend si solitaires.

La nuit, pour écrire, allumer les lumières. Peut-être parce que, contrairement aux autres occupants, ici je n’habite pas, je ne viens que pour poser l’ordinateur sur le dessus de cuir de la grande table, dans le milieu du silence.

Finalement, peut-être justement pour l’ensemble de tout ça, que se crée l’infini décalage pour le rendez-vous du soir. Rien à voir avec le chemin du jour, comme dans la vidéo de la semaine dernière.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 septembre 2009
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