"L’incendie du Hilton" chroniqué dans l’Humanité
Le site de L’Humanité, qui accueille ces chroniques chaque jeudi (lire aussi les interventions de François Taillandier) est d’ailleurs un des meilleurs en ergononomie et accès aux archives, c’est ici Chroniques de Jean-Claude Lebren (ou flux rss).
Ci-dessous ce retour que je découvre, ce matin, sur mon Incendie au Hilton. Et rappel, merci spécial pour la réception aux amis blogueurs, voir : Ils gagnent leur chambre au Hilton.
Jean-Claude Lebrun | Le roman par contrainte
Soit un écrivain français invité au Canada pou un salon du livre, en octobre 2008. Soit le même écrivain découvrant que la manifestation a lieu dans les sous-sols de l’hôtel où il va résider, en manière d’unité de lieu obligée. Soit le déclenchement de l’alarme incendie une nuit à 1 h 50. Soit la fin de l’alerte et le retour dan la chambre à 5 h 50. Soit, enfin, commencé dix semaines plus tard, le récit de ces quatre heures conçu pour être lu dans la même durée (« quatre heures vécues, quatre heures à lire »)… Le nouveau roman de François Bon s’est écrit sous le signe de la contrainte productive : lieu unique dans une ville qu’il s’applique à ne jamais citer, temps limité, action minimale. La réflexion sur la mécanique littéraire, qui n’a cessé d’accompagner les développements divers de l’oeuvre, prend ici elle-même forme romanesque.
Une longue citation de Baudelaire, placée en épigraphe, propose l’image de ce qui va se jouer dans la tour du Hilton et dans l’imaginaire de l’auteur. Un mouvement entre le haut et le bas, une sensation de catastrophe latente et des visions de ruine à profusion. La représentation de la ville comme dent cariée, déjà présente dans Décor ciment en 1988, opère son retour dans le texte. Si ce roman ne ressemble à aucun des précédents livres de François Bon, il ne fait en revanche pas de doute qu’il les prolonge et les déplace vers leur propre terreau théorique. Il y a donc à l’origine, ce transport d’écrivains, éditeurs et attachés de presse vers le Canada Un rituel du milieu auquel l’auteur se prête rarement. Puis cet incendie, dont il ne verra strictement rien. Inutile d’en attendre de lui des images. Il s’embarquera seulement dans ce récit pour faire tenir ensemble une poussière flottante de petits événements, d’impressions, de réminiscence de lectures et de vues sur une pratique possible de l’écriture. C’est aussi ce qui fait le prix de ce texte littéralement hors normes. Avec huit cents autres personnes, l’auteur a dû évacuer l’hôtel. En fait descendre quinze étage et apercevoir au dehors les gyrophares des secours, avant de se retrouver dans une patinoire proche, puis au bar voisin de la gare centrale. Une manière de parcours statique dans un espace clos, avec épisodiquement auprès de lui une figure de vieil écrivain, venu là en invité d’honneur, qui délivre ses sentences sur l’époque (« temps de menaces »). Personnage sans doute réel, mais ici élevé à une hauteur prophétique qui de très loin le dépasse.
Car le roman, pour François Bon, n’en est plus à trouve sa légitimité dans une rencontre arbitraire de destins Les quatre heures du récit n’ambitionnent pas de créer quelque illusion de réalité. Même si le réel se fait continûment sentir. Parce que la distinction entre le dehors et l’intérieur se trouve abolie. Du pied du Hilton, construction répétée à l’identique dans toute les métropoles au monde, la ville moderne, invisible se donne à imaginer. La vision s’étoffe alors des écho de lectures et « d’autres reflets plus loin », mai également de scènes vécues du quotidien. Puisque aussi bien, semblablement à Tolstoï dans la Guerre et la Paix, le texte s’attaque au défi de la simultanéité : inventer un espace dans lequel vient confluer la totalité de ce qui a traversé le corps et l’esprit durant ces quatre heures. Souvenirs récents du vol vers le Canada et de la curieuse plongée sous l’hôtel dans les travée du salon. La littérature dans la posture de la taupe Mais encore, retours d’images d’une séance de récupération de points du permis de conduire, à Dreux, de tête de gondoles présentant le livre dans un hypermarché Ou bien restitutions de rencontres, montage de conversations. Et visions venues d’un voyage ultérieur un retour sur les lieux quelques semaines plus tard Pour, en même temps, vérifier le souvenir et envisage la possibilité d’une autre ville. On peut en effet conjecturer que la citation initiale de Baudelaire renvoyait, par ricochet, au vers célèbre « la forme d’une ville… » dans son poème le Cygne. Le roman se construit dans ce réseau serré à l’extrême, véritable tissu textuel tendu sur le réel.
© Jean-Claude Lebrun | L’Humanité, 10 septembre 2009
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 11 septembre 2009
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