ce que je fais à Montbéliard, avec qui et pourquoi

en résidence de création à Ars Numerica, premier point de route, avec Dominique Pifarély, Michele Rabbia et Philippe De Jonckheere


19 juin 2011 : la version web du spectacle : Formes d’une guerre, comme si vous y étiez, avec versions successives des textes et extraits audio/vidéo.

Nous voilà donc à Montbéliard, bien loin pour quelqu’un de l’ouest : 4 heures de train de Paris à Belfort, et un petit peu de navette au bout. Sur Google Earth, l’emprise sur la ville des usines Peugeot où 20 000 travailleurs se côtoyaient il y a encore quelques années, 5000 maintenant. Est-ce ce qui a impulsé les aides européennes pour la création de ce pôle numérique : Ars Numerica, avec pépinières d’entreprise web, incluant cette grande salle modulable à l’équipement impressionnant, gérée par la Scène nationale, l’Allan ?

En tout cas, Didier Levallet, pour moi lié pour toujours à ces concerts fin des années 70 (avec le violoncelliste Jean-Charles Capon et Christian Escoudé, je crois, la première fois que je l’ai vu en scène), silhouette d’énergie derrière contrebasse, qui dirige l’Allan a invité Dominique Pifarély, en tant que compositeur, en tant que violoniste, à cette résidence de création – l’outil numérique est là, disponible, quoi en faire, comment le mettre au service de notre travail pour le démultiplier, et peut-être même, au bout, l’oublier ? – et retrouver ici à l’abbaye de Cluny Didier Levallet en trio avec Dominique Pifarély et Gérard Marais, 3 musiciens d’exception...

Je vois bien le chemin de Dominique depuis 2 ans, même s’il a toujours utilisé le violon dans toutes ses ressources électroniques. Sa prise en main récente de Max/MSP (le logiciel fétiche de l’IRCAM) via Live/Ableton sur son Mac, et ses concerts avec Michele Rabbia, turinois vivant dans le Trastevere de Rome (il est même le voisin direct d’Umberto Eco !)...

Pas facile, lorsque Dominique vous invite, sachant avoir à se retrouver au voisinage immédiat de pareil musicien – affinités qui ne se commandent pas. C’était la première trouille que j’avais à vaincre.

D’abord je l’ai regardé, écouté, puis venu tout près de sa drôle de batterie. Il y a quelque chose de commun à tous les percussionnistes, dans la gestuelle, dans ce qu’ils mettent d’eux-mêmes à disposition des autres. Et Pifarély l’a fait un peu exprès, les 2 premiers jours, de me laisser tenter mes textes avec Michele. Mais c’est une drôle de sensation : on est environné de bruits non identifiables, qui vous remontent le long du corps, vous immergent dans un paysage mouvant, profond, constamment variable, où vous avez le sentiment d’être en suspension, et qu’on peut se laisser complètement aller. Et puis voilà, c’est fini, il est déjà parti fumer une cigarette dehors sous la pluie, nous on a ce rythme et ces sons qui continuent encore...

Et moi qui aime tant bidouiller le son numérique sur mon ordinateur, j’en suis absolument privé. Sur l’ordinateur de Michele, arrivent à la fois les 5 ou 6 micros disposés dans ses percussions, plus le violon de Dominique, et mon micro voix. Dans l’ordinateur de Dominique arrivent son propre violon et ma voix, les sons micro vont donc être retraités en direct par les deux musiciens et mêlés à leur pâte.

Luxe de l’installation, à la console Christophe Hauser, qui a déjà enregistré et mixé notre disque Peur, et les 3 micros dont je dispose, dont un fabuleux AKG statique, selon que j’utiliserai voix narrative, voix chuchotée ou voix forte.

C’est moi par contre qui ai suggéré, lorsque Dominique m’a parlé d’images liées à ce qui se passe sur scène, que nous allions solliciter Philippe De Jonckheere, le maître du Désordre. Au départ, j’avais pensé à ses images du Surnatural Orchestra, plusieurs fois noyées dans les 50 000 images du plus incroyable des sites, et respecté de tous comme site pionnier. Le premier jour, c’est ce que je découvrais : Désordre sur trois écrans géants de 4 x 3 m. Mais, à 48 heures d’écart, ce n’est plus Désordre. Des séries d’images prises directement à la ville qui nous environnent. Des séries d’images prises directement à la salle où nous sommes, les projecteurs devenus des sculptures abstraites. Des séries d’images de nous-mêmes au travail, mais qu’il rephotographie sur l’écran, et ne reste plus que la posture ou – justement – ce qui nous immerge dans le même travail.

Philippe a imaginé un dispositif (nul doute qu’il apparaîtra bientôt sur son site) où trois ordinateurs, un par écran, présentent avec rafraîchissement aléatoire ces séries prises à ses réserves infinies, et que lui peut alors animer d’un double-clic en fonction du moment scénique, développant transversalement les recouvrements et animations – ainsi ce qu’on aperçoit du carrefour de la Croix de Chavaux, à Montreuil, sur la vidéo ci-dessous.

Pour ma part, dès le printemps dernier, quand le projet s’est dessiné, j’avais proposé à Dominique Pifarély d’utiliser ces textes parfois rédigés dans le bus Montréal-Québec, confrontations aux villes d’Amérique, initiée d’abord dans un blog que j’avais voulu sans nom d’auteur, sous l’emblème d’Habakuk. Mais ce sont juste des départs de langue, des micro-univers avec villes, qu’il s’agit de laisser dissoudre et interagir avec l’événement en temps réel que créent Dominique et Michele. J’ai proposé le titre à Dominique à cause de ce texte Formes d’une guerre dont je sentais obscurément que j’aurais à vivre longtemps avec lui, et qui va ouvrir le spectacle.

Puisque rendez-vous public il y a, lesjeudi 17 et vendredi 18...

Vivre cela comme une grande chance. Ces chaînes de confiance, de Didier Levallet à Dominique Pifarély, et de Dominique à nous-mêmes. Mais ce qui s’inaugure de travail commun parce que nous sommes chacun confrontés à l’usage plus extrême que l’autre fait de l’outil numérique, s’il converge avec sa discipline. Et probablement pareil pour moi, lisant écrivant reprenant directement sur l’iPad.

Art numérique : je ne sais pas si cela signifie, au regard de l’exigence photographique de Philippe De Jonckheere, ou de ce qui me lie depuis maintenant plus de six ans avec respect absolu à l’invention austère mais si fascinante de Dominique Pifarély, ou ce que je puise depuis 3 jours d’humanité à Michele.

Donc un premier point ici avec ces trois minutes de vidéo, cet après-midi, Michele aspirant pour retraitement le violon de Dominique...

Outre Christophe Hauser notre ingé-son, mentionné ci-dessus, merci spécial à Sébastien Michaud (dispositif scénique et lumières) et Virginie Crouail (production).


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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 décembre 2010
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