Stones, 40 | Allen Klein, ou comment posséder les Stones

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


On met tellement en avant le succès commercial gigantesque des Stones, les 450 millions de disques vendus, les tournées géantes, les 32 sociétés répertoriées, la lucidité de Jagger constamment au travail, qu’on oublie le ramassis de casseroles que tout cela est aussi, et que le boulot des musiciens étant de jouer et non de compter, ils se sont faits avoir comme les autres et même, à proportion de leur succès, bien plus que les autres.

Et que cela pour toujours a nom Allen Klein. Et n’allez pas en parler aux Rolling Stones avec le sourire. Quinze ans de procès pour s’en débarrasser, alors qu’ils lui avaient tout donné, mais sans se rendre compte qu’ils le donnaient, et probablement plus graves qu’on croit aussi les fissures et dissonances dans le groupe, puisqu’Allen Klein fut la plus grosse erreur de Mick Jagger, mais qu’il endossa la décision de faire entrer avec lui les copains dans la nasse.

À ce moment, le 14 septembre 1967, ont-ils le choix ? Andrew Loog Oldham, comme beaucoup de ceux qui viendront dans le premier cercle des Stones, est intérieurement lessivé. Et pris dans ses propres labyrinthes d’ego, et probablement la drogue aussi. En 1963, il fallait à tout prix accrocher un contrat avec une compagnie de disques : Decca les a fait signer sans qu’on ose négocier, à peine s’ils se partagent 15% sur les ventes. Et les intermédiaires, donc Andrew, gardent leur part du filon. Il y a eu l’argent de Satisfaction, il y a les tubes qui continuent l’un après l’autre, comme Let’s Spend The Night Together. Mais l’argent a déjà filé. Musicalement, on s’enterre dans Their Satanic Majesties Request. Les procès coûtent cher. Alors qu’ils friment sur tous les magazines, les Stones sont aux abois, vivent pour trop cher, et se font manger la laine sur le dos.

Pour les Stones, il ne s’agit pas de fins de mois, il s’agit d’obtenir de Decca l’argent qui reste après les ponctions, et des tourneurs et producteurs la part de cachet des tournées. Personne ne se dépêche de payer, et eux ils ont des maisons, des voitures, des divorces.

I can find you money you never even knew you have...

Depuis juillet 1965, Allen Klein est déjà celui qui agit pour leur compte auprès des compagnies de disque. Fin de l’année précédente, à New York, il leur a organisé la projection privée d’un film avec Marlon Brando, pour leur faire miroiter un projet autour du groupe. Klein a rodé sa stratégie avec d’autres : Tu veux t’acheter quoi ?... Tu l’as. C’est comme ça qu’en 65 il a racheté la part d’Andrew : — Qu’est-ce qui te ferait envie, Andrew... — Une Rolls... — You got it. , moyennant quoi il est leur représentant unique aux USA, avec 20% des commissions, et, à partir de septembre 67, le paquet tout entier. Klein est mort en 2009, et il n’a pas laissé d’autobiographie (c’est bien un des rares). Il s’occupe des affaires américaines des Stones depuis 1965, et ça lui a servi à tisser sa toile : ça marche tellement mieux là-bas qu’en Angleterre.

We could actually go shopping, disent joyeusement les Stones, qui lui ont tout fourgué pour un million de dollars – moins du 400ème de la fortune actuelle estimée de Sir Mick, donc ne pleurons pas. Et ils ont 24 ans, lui 10 de plus.

On dira au revoir à Andrew Loog Oldham dans les règles. Allen Klein lui avait racheté sa part dans le management (ça ne lui avait rien coûté), comme on fait d’un fonds de commerce, mais l’avait gardé comme producteur, même si c’est seulement honorifique. Ce mois de septembre 1967, on l’éjecte complètement, maintenant Klein a les mains libres. Il paraît que la seule question qu’il pose à Andrew c’est : Et c’est lequel qui fait les disques ?... Celui-ci, répond Andrew en montrant Richards.

Le cash arrive, les maisons, les voitures. Pendant quelques mois, ce sera une vie incroyable : un coup de fil aux bureaux de Klein à New York, et l’argent sera à la banque... Ça marche tellement bien, cette fin d’année 1967, et le bien-être matériel des Stones est tellement manifeste, que John Lennon tombe dans le panneau. Brian Epstein est mort, Lennon offre les Beatles à Klein. Ils ne s’en remettront pas.

Deux ans plus tard, ils commencent à comprendre. Klein les paye encore plus au lance-pierre que ne le faisait Decca, en leur comptabilise les avances. Sur les chansons Jagger-Richard, l’argent tombe encore plus mince : bien sûr, puisqu’en fait désormais elles appartiennent (et appartiennent toujours) à Allen Klein et non plus à Jagger et Richards. Pour les tournées américaines, et les cachets invraisemblables qu’on impose : ah oui, mais la compagnie tampon appartient à Klein et pas du tout aux Stones.

J’ai raconté ça plus en détail et pourcentages dans le livre. Mick rencontrera Ruppert von Loewenstein, un véritable financier, avec lequel le respect sera réciproque, et les affaires Stones seront enfin en de bonnes mains, tandis que pour la musique on s’arrange avec Ahmet Ertegun, le fondateur des disques Atlantic, via une discrète société en commun (Kinney) qui permettra la rupture.

Vous apercevrez facilement, sur vinyles, CD, DVD, bouquins, la mention ABKCO. Elle signifie que le matériel n’appartient pas aux Rolling Stones, mais aux héritiers d’Allen Klein. Quand les Stones éditent aujourd’hui un livre, de vieux morceaux, des rééditions ou remixages, ou tout simplement dans leurs play-lists de concerts, pourquoi privilégient-ils toujours la période qui commence pour eux en 1971 : parce qu’avant tout a été donné à Klein.

Sans doute qu’aujourd’hui, pour eux, tout cela se confond dans l’énorme tumulte de jeunesse. Mais c’est quand même le meilleur d’eux-mêmes, qu’ils se sont laissés prendre. Ne leur parlez pas d’ABKCO, évitez. (Et vidéo ci-dessus des mêmes semaines où ils signent avec Klein, mais parce qu’on les voit au travail... le leur.)


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 août 2012
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