Stones, 43 | Boogie with Stu

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Il meurt le 12 décembre 1985. À la fin de l’album Dirty Work, les Stones ajoutent quelques dizaines de secondes d’un enregistrement de piano seul.

Ian Stewart est à la fois une permanence et un passant. Il traverse ici une bonne partie des 50 histoires. Quand Brian Jones met une annonce invitant à se présenter pour audition au Bricklayer Arms, Stu sera le seul à venir, et donc constituera dès ce moment la moitié du groupe à venir, The Rollin’ Stones.

Dans la période Edith Grove, son rôle est décisif. Il a un travail (au service des expéditions internationales d’une boîte de chimie, rien à voir avec la musique), et donc on pourra donner un numéro de téléphone pour se faire appeler. Ce qui nous semble rien aujourd’hui, mais a pu être si important ces premiers temps, quand Richards et Brian vont chaque soir au pub d’à côté avec des pièces de 5 cts pour contacter d’éventuels tourneurs ou diffuseurs (mais c’est toujours Brian qui parle).

Et puis Stu, l’Écossais, avec ce drôle de menton en galoche qui résulte d’une maladie osseuse pendant l’enfance, est un type qui aime le camping. Son mini van Bedford c’est pour s’en aller vers les lacs ou le bout du pays de Galles, ou remonter à ses landes d’Écosse, et tenir quelques jours avec sac de couchage. Mais c’est dans le Bedford, avant l’ère du Volkswagen, puis des Mercedes louées, que Stu va commencer à charroyer ses collègues, et assumer la distribution de chacun à son domicile au retour.

Étrange rôle, qui dès le départ s’éloigne de son seul rôle de pianiste du groupe. Celui qui contribue à l’ancrage dans le rythm’n blues électrique, puisque son art du piano c’est le boogie. Le blues pour lui c’est trop lent, la variété il n’aimera jamais, mais lorsque les Stones jouent rapide et jouent du rock, il aura toujours autorité pour remplacer le pianiste en titre ou le doubler, et fera toute sa vie sur scène avec les Stones.

Puis l’arrivée d’Andrew Loog Oldham, et Stu viré avec la plus magnifique des hypocrisies : Oldham a acheté 5 costumes pied-de-poule avec col de velours, il n’y en a pas pour Stu. On lui dira que 6 c’est trop pour les photos, ça ne passe pas à la télé, il faut que les filles puissent immédiatement reconnaître telle figure tel prénom. En fait, délit de bonne tête : trop grand, trop de santé, et ce menton en galoche dont il n’est pas responsable. Ou simplement parce que, né en 38, il a 5 ans de plus que Mick et Keith, et que l’image qu’ils veulent c’est les 20 ans. Mais pas un des 5 Stones pour s’opposer, ce jour-là simplement ils détournent le regard.

N’importe qui aurait claqué la porte. C’est pour moi un des plus grands mystères de toute l’histoire des Rolling Stones : Stu accepte le licenciement, mais garde le rôle de chauffeur logisticien. Pas un film sur les Stones où on ne l’aperçoive sur le bord de scène, préparant, arpentant, organisant. Gérant les entrées et sorties. Comme si ce rôle-là était aussi indispensable à la musique. Pas une vidéo ou un ensemble de photo sur les Stones en studio sans qu’on l’aperçoive en plein milieu. Les énormes poches arrière de son pantalon (puisque c’est ce qui lui reprochait Oldham, il n’a pas un derrière à la Mick) remplies de trucs bizarres, bouts de câbles, éternel fer à souder.

Quand les Stones équiperont le camion studio, celui qu’on installe à Stargroves, puis à Nellcote, il semble que le camion studio, exceptionnel pour l’époque (pas exceptionnel en lui-même, mais par son équipement et sa taille) remplace pour Stu le Bedford. Son oeuvre, même s’il met Glyn Johns aux manettes (autre énigme subsidiaire : il est toujours dans la control room, mais jamais n’en prend possession). Et donc, quand on loue le camion (et Stargroves) à Led Zeppelin, c’est lui, Stu qui est là – c’est son piano qu’on entend dans Rock’n roll et bien sûr dans ce beau Boogie with Stu : les Zeppelin auront honoré la complicité musicale mieux que les Stones.

Pas vrai, peut-être. Parce que les Stones le considèreront toujours malgré tout comme un des leurs (moins l’argent, Stu n’est que salarié). On ne le contredit pas, même Jagger. Ils l’appellent Heir Stewart d’après le vieux titre nobilier écossais. Wyman fera dans Stone alone une anthologie des phrases qu’il leur sert, comme son rituel Come on, my little shower of shit, you’re on, quand c’est le moment de les faire entrer en scène. Et Keith, au Randall Park Crematorium : Qui c’est qui nous dira qu’on fait une connerie, maintenant ?. Pas vrai, parce que Get Yer Ya Ya’s Out est en partie l’album de Stu, et presque déjà un testament. De même, il n’a pas laissé de livre, ni accepté d’entretien. Mais quel que soit le bouquin qu’on ouvre sur les Stones, les phrases collectées à la volée de Stu sont le baromètre le plus sûr.

Il est le sédiment aussi pour les enregistrements avec Howlin’ Wolf, ou plus tard l’album avec Ry Cooder. Ce qu’eux les Stones disent driving force, c’est Watts plus Wyman plus Stewart, et ça s’exporte à trois. Il franchira la barrière une fois, en 1981, enregistrera un disque qui prendra pour titre cette vieille rengaine que Bill Haley a fait passer du jazz aux racines du rock, Rocket 88 – ce sera avec Charlie Watts et Alexis Korner, comme une fidélité affirmée (ou une provocation ?) à ces semaines d’avant les Stones, ce printemps 62 de toutes les catalyses.

J’aime l’entendre au hasard de ces continents d’heures des prises de studio passées en bootlegs, 72 Rehearsals, Woodstock Tapes, Place Pigalle, Paris Outtakes lorsqu’en répétition il installe le son des Stones, que Watts et Wyman, parfois Wood ou Taylor jouent avec lui avant que les patrons arrivent.

Et c’est toujours du boogie-woogie.

 

Rocket 88, featuring Jack Bruce, Alexis Korner, Charlie Watts, Ian Stewart


 

Lawdy Miss Clawdy, featuring Bill Wyman, Charlie Watts, Alexis Korner, Ian Stewart


 

1981, with Junior Wells, featuring Keith Richards, Ron Wood, Ian Stewart


 

Boogie with Stu, Led Zeppelin featuring Ian Stewart



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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 août 2012
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