Proust, hors série | ce qu’on voit des fenêtres de Combray

rêver à Proust dans les lieux qui en sont le symbole


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Dans tous ces mois d’hiver où j’accumulais une à une ce que je voulais être 100 incises sur Marcel Proust, je gardais Combray pour la fin – même, je ne relisais pas, tant il me semblait qu’en 30 ans c’était avec Balbec la partie du livre que j’avais dû le plus relire et relire.

Pourtant, quand à la fin de la série des 100 je suis enfin revenu à Combray, via l’étrange disjonction des 2 séjours à Tansonville chez Gilberte de Saint-Loup, moment crucial pour comprendre l’éclosion première du récit, beaucoup plus compliquée que la seule réminiscence de la madeleine (je m’en suis expliqué : comme si la madeleine, en recréant fictivement la réminiscence de Combray depuis la tasse de tisane offerte par la mère, à un moment de la vie du narrateur qui n’est pas du tout celui du passage à l’écriture, avait surtout pour but de faire exister la mère elle-même, refaire vivre après son décès une scène du quotidien ordinaire...), c’est pourtant Combray qui m’a le plus déstabilisé dans sa composition et sa genèse.

Je voyais, auparavant, le grand récit préliminaire (un des récits préliminaires, mais le plus proche temporellement de la Recherche) de la préface à Ruskin, Journées de lectures, comme une simple inclusion dans Combray.

Or c’est plus complexe : Proust suit l’ordre narratif de Journées de lectures, et le thème – si je veux lire, en quel lieu de la maison je peux ou dois m’installer ? Mais le récit va être éclaté, disloqué. Veut-il aller au jardin, il est poursuivi par la grand-tante (celle qui prétend qu’on ne doit lire que le dimanche), ou bien il pleut et on doit rentrer. Veut-on lire dans le séjour (et la surprise que celui d’Illiers-Combray soit minuscule), on est chassé par les préparatifs du repas.

Ou bien, parce qu’on explore toute la maison, intérieur et extérieur, à la recherche du lieu pour lire (et cela inclut évidemment la mère venue lire à voix haute dans sa chambre), on tombe sur la pièce vide qui était celle du grand-oncle, et c’est l’insertion de la première scène parisienne avec apparition d’Odette dans le rôle de la femme en rose.

Cela se passe donc comme si la reprise volontaire des Journées de lecture en prologue à la jalousie de Swann était comme déployer un tapis dans lequel, à chaque endroit qu’on pointera jusqu’au petit cabinet aux iris et la trace de sperme en forme de bave de colimaçon, naîtra une strate précise du récit, qui permettra et contraindra son développement.

C’est pour cela que j’avais résisté, jusqu’ici, à visiter la maison d’Illiers-Combray. Proust finalement y est peu allé, et superpose dans le fabuleux récit de la Recherche différents lieux de son enfance. La maison de George Sand à Nohant correspondrait presque mieux à l’imaginaire du livre, en admettant qu’on cherche un décor réel pour le filmer.

Et c’est bien la difficulté quand on visite la maison de la tante Léonie à Illiers (devenu Illiers-Combray en 1971, même si dans la Recherche Proust a fait plus tard déménager Combray en Champagne). Tout est très respectueux, on ne fait pas violence à votre Proust. Mais cette maison est en elle-même une fiction (c’est son trouble) puisque justement aménagée et restaurée, meublée pour correspondre aux scènes les plus explicites de la Recherche, ainsi la table de chevet de la tante Léonie avec missel et bouteille d’eau de Vichy.

Alors – en attendant autre série éventuelle sur les objets –, c’est sur les lumières que je me suis concentré. Chaque maison décrite par Marcel Proust est d’abord un dispositif optique. Ce qu’on voit des fenêtres (le carrefour d’Illiers-Combray et son panneau stop vu en surplomb depuis la chambre de Léonie). Et comme chez Balzac à Saché, indépendamment même du rôle que tient le bouton de porte dans la scène de la lanterne magique, se dire que chaque poignée de porte ou de fenêtre a gardé l’empreinte de Proust.

Pour rêver (en ce qui me concerne). Et qu’un fragment d’escalier dans le demi-jour incarnera toujours.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 30 juin 2013
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