livres qui vous ont fait | Edgar Poe, Oeuvres en prose

d’une rencontre sans doute la plus déterminante


De comment Edgar Poe fut le premier Pléiade que j’achetai, je m’en explique dans le chapitre En prose d’Autobiographie des objets.

Résumons : dans l’armoire vitrée du grand-père paternel, un livre de tout petit format très mince, mais relié de toile et avec un papier un peu dur et cassant, un petit livre qui sentait son âge, et l’étrange titre : Le scarabée d’or, je le lis probablement sur place, d’une traite – est-ce que j’ai 10 ou 11 ans, avant le grand-père ne m’aurait pas laissé accès à cette grotte à merveilles, avec son Balzac en 18 tomes, son Rabelais édition Larousse de 1914, ou ses précis de sorcellerie et bien d’autres choses ici serrées les unes sur les autres.

Évidemment, je n’ai jamais lu rien de tel. Je prolonge en me procurant très rapidement, en tout cas je devais être en 6ème ou 5ème mais pas plus, les 2 volumes de poche successifs des Histoires extraordinaires et des Nouvelles histoires extraordinaires même même si là je n’ai pas de vrai mémoire matérielle du livre – en tout cas je me souviens pour toujours de Le puits et le pendule, j’y vois comme une sorte de puissance absolue de l’illusion littéraire, ça peut suffire à décider d’un chemin, même si au bout de 30 ans du chemin on se dit que ce n’était pas forcément le choix le plus responsable. Je sais que c’est un monde étrange et difficilement compréhensible. Puis je passerai à Stendhal, Balzac, Dostoïevski, Steinbeck, je ne croiserai ni Baudelaire ni Rimbaud avant bien plus tard et Edgar Allan Poe n’est plus qu’un nom au lointain, serti dans un cadre comme son visage ovale.

En 1980, alors que je traîne dans mon sac le manuscrit en cours du premier Sortie d’usine, je tombe (chez des gens où je ne sais quel hasard avait fait que je m’héberge) le nom d’Edgar Allan Poe sur la tranche d’un Pléiade – je n’ai jamais eu de Pléiade, même si du coup je m’autoriserai toute l’année suivante à emprunter ceux de la bibliothèque municipale du 9ème arrondissement de Paris, rue Rochechouart où j’ai une piaule (et une machine à écrire électrique Smith Corona). Quand j’ouvre le livre aux caractères serrés, petits, je n’en reviens pas que Poe ait pu écrire autant, d’abord, et puis que ça aille aussi loin dans la tête.

Une dizaine de jours plus tard, traversant Lannion (et Yvon Le Men qui ne me pardonne pas d’avoir écrit dans Autobio des objets que c’est une petite ville : mais je les aime et elles me font rêver, moi, les petites villes) je découvre dans une librairie le Pléiade Poe parmi quelques autres et me l’achète, le lis intégralement, toujours fasciné par ce titre générique, Oeuvres en prose.

Je crois que ce livre ne m’a jamais quitté, où que j’aille. Il est donc toujours là dans mon bureau, sa couverture refaite. Dans ces années-là, Klincksieck avait publié un essai intitulé L’invention d’Edgar Poe et ça avait aussi été une révélation : je ne me rappelle plus très bien de ce que le livre expliquait, mais que le fantastique puisse résulter d’un processus et d’une technique, c’était un choc. J’étais entré dans la génétique du récit.

Aujourd’hui encore, je rêve d’un livre qui serait une sorte d’explication comme j’aime le faire (et c’est toujours à refaire, Poe est si peu lu, quoi qu’on croie) avec les étudiants, sur ce qui se joue dans L’homme des foules, Descente dans le Maelstrom, Manuscrit trouvé dans une bouteille ou Eureka. J’ai lu plusieurs biographies de Poe. En octobre, j’ai pu enfin me rendre sur sa tombe à Baltimore.

Je relis plus facilement Poe sur mes instruments numériques, ordi ou tablette. Mais la présence du petit livre souple, je ne sais pas si je pourrais m’en dispenser sans qu’il y ait un petit quelque chose dedans qui s’effrite et qui craque, se perde.

Qui de nous pour ne savoir réciter par coeur le début de Chute de la maison Usher dans la traduction de Baudelaire ?

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 avril 2014
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