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#Rabelais | une journée Rabelais complète en 55 images

Quatre mois... quatre mois de ce projet né dans les insomnies d’hiver, grandi dans les aléas météo d’avril, et voilà qu’à ce jour, toute fin juillet, 70 vidéos en ligne, le livre grand format 520 pages cartonné ou broché disponible... et le savoir très calme et posé qu’on n’est peut-être qu’à la moitié du travail, qu’au socle, premier cercle, et qu’en septembre ça va reprendre.

Tout se modifie, lentement, pour moi. La manière de lire, l’approfondissement de ce qu’il y a à réviser ou désapprendre, la confiance dans les chemins, les arbres ou les gens, aussi.

Est-ce qu’on peut faire le tour de ce petit mouchoir de poche qu’est le « paysage remarquable » de cette œuvre tout entière basée sur une géographie — question profonde, et à laquelle je dois donner réponse prochaine — en moins de 10 étapes et de 5 heures de trimbale pédestre et motorisée ? Après la journée d’hier, pourtant uniquement en sites connus, plusieurs fois arpentés, je dirais que non...

Alors c’est quoi, les 50 photos ci-dessous ? Cet arpentage même, l’arpentage au plus près, sans même Candes et Montsoreau, ni L’Île-Bouchard ou La Vauguyon, sans parler du plus lointain, Panzoult ou Mirebeau. Ou Olonne.

Donc, juste, un point d’étape. Merci à mes trois compagnons de route, hier, dans la voiture trop petite.

Et commentaires sous les images, à vous de suivre sur la carte (elle est l’œuvre même !) Pour les abonné·e·s : voir journal de bord #52 !

 

C’est devenu une sorte de rite fétiche : commencer par les vaches de Pontille, au confluent du Négron et de la Vienne. Ce sont elles (13 000) qui nourrissent Gargantua. Commencer par le natal. Et ce toponyme, Pontille.

Après les 50 minutes de voie rapide de chez moi à la rocade de Chinon, tout d’un coup les chemins de campagne. Mais ce sont ceux qu’on empruntait, avant le temps des camions, sur « le grand chemin de Chinon à Loudun ». C’est le moment de la transition dans la tête. Et les peupliers, en roulant au ralenti, comme s’effeuiller le dedans, enlever le présent.

Pas moyen pour moi d’entrer dans cette superposition du livre et de la géographie sans que ce soit d’abord La Roche-Clermault. Cette voie ferrée qui ne reparaît que par tronçons abandonnés et fermés (comme, juste au-dessous, la maison abandonnée qui surplombe le gué de Vède), bien sûr les silos. Le paysage rabelaisien, d’ici, on l’embrasse tout entier. Mais c’est celui de la harangue d’Ulrich Gallet à Picrochole, ce texte que j’ai enregistré ici-même et en tout premier, s’il fait le lien avec toute l’angoisse actuelle. Et puis, au-dessus, le château...

Le château qui ne s’ouvre pas, même aux journées du Patrimoine, et quel dommage. C’est un des plus beaux équilibres architecturaux d’ici. Alors on fait le tour, en surplomb du village, au long du rempart où rêvèrent, dans le livre, Merdaille et Spadassin.

Dès Pontille, mais comme un tissu continu presque, partout qu’on aille, ces demeures qui sont chacune une histoire de pierre, avec des traces antérieures à Rabelais, à preuve ici, chemin de Ragot à La Roche-Clermault, la Raisonnière où jamais je n’ai vu personne (mais je ne viens pas le week-end, peut-être pour ça), et ses arbres fruitiers qui nous concédèrent quelques prunes, chut...

Seuilly, se garer sur la place de la mairie. Photographier une fois de plus, systématiquement, le panneau des informations libres, regarder d’un air méprisant (il en frémit) le distributeur automatique de baguettes molles, et saluer le buste de Rabelais (dont on n’a jamais eu de portraits que posthumes) par Audiard, dont j’aime le rictus et les mains.

On y a symboliquement restitué, le 20 juin dernier, quelques décigrammes des cendres de Rabelais, prélevées à Paris dans les catacombes, la zone la plus probable où furent entassés les débris du cimetière de la rue des Jardins Saint-Paul, après que la bonne ville de Chinon en ait refusé, c’était en 1886, transfert de la dépouille identifiée. Destin des hauts écrivains. Alors, depuis, plus de passage à Seuilly sans entrer se recueillir dans le vieux cimetière (inutilisé depuis 1975, d’où ce calme et cette beauté, la simplicité des tombes d’enfant : il n’est pas mieux, là, désormais, Rabelais ?). Pensez à en faire autant, quand vous passez par là : elles ont poussé, les cendres de Rabelais, elles sont devenues ces tiges vertes et toutes droites, bientôt plus hautes que nous !

À Seuilly l’abbaye, arrêt obligatoire. Le bâtiment a tant souffert de ses multiples affectations. Et moi je voudrais tant, en septembre, venir lire ici dans la partie à l’abandon des anciennes salles. Après tout, tout laisse à penser que Rabelais, de ses 8 à 14 ans (c’est flou, je sais que c’est flou) y était en pension ici, pour la période qu’on dirait maintenant école primaire. Pour cela que le vieux lavoir tout proche m’émeut tant. Et puis le fameux pigeonnier du clos : mais c’est au pied d’une autre ruine, le donjon de Cessigny en haut de page, que j’ai préféré lire le texte encore plus fameux, par lequel frère Jean des Entommeures fait irruption dans le livre.

Autre demeure sur la route : difficile de l’approcher, mais si puissante sur son repli de plateau, La Grande Cour. Zut, on peut y entrer en août pour un concert, mais n’y serai pas.

Arrêt, mais plus qu’un arrêt. Ces vidéos, leur préparation en amont, directement là sur le terrain, le fait d’être des deux côtés de la caméra et du micro (ou des deux caméras et deux micros), ce qu’on doit chercher d’intense en soi dans le moment de la lecture, quand j’ai essayé de sauter la pause du midi eh bien je n’ai pas tenu. Manger par les villages ? Il n’y a plus rien, à moins de revenir sur les zones commerciales de Chinon ou sa rue à touristes. C’est Google qui me l’a montré la première fois : oui, là à 3 minutes en voiture, même pas 3 km, juste passé le Coudray-Montpensier sur sa butte, le Café de la gare à Beuxes, ici dénommé Starbeuxes. Et, tous ces quatre mois, l’avoir chaque fois le midi trouvé plein à craquer, camionnettes et même pelleteuses garées sur le parking et les gars attablés dans leurs gilets fluos. Une sorte de point de vie dans ce village ingrat : passée la frontière Indre-et-Loire Vienne c’est la plaine qui va jusqu’à Loudun, les silos... Alors on se pause, pas de menu on prend ce qu’a préparé la patronne pour ce jour-là, et quand on part au bout d’une heure on est prêt, vraiment prêt à rattaquer, peut-être simplement parce que c’est aussi un lieu de rire et complicité, c’est manifeste, et puis ça bosse. Pour ce projet je leur dois un fameux merci et en septembre ils auront le livre en cadeau — hier c’était très bien aussi.

Alors oui, évidemment, on peut préférer la gastronomie 3 étoiles, sauf que leur resto a fermé paraît-il. Le Coudray-Montpensier c’est important, parce que ses tours sont, de partout dans la vallée Rabelais, comme un signal optique, une petite touche de fantastique. Me suis longtemps dit que c’était plus beau vu de loin que de près, mais peut-être justement parce que n’ai jamais pu y entrer : on pouvait visiter, mais c’était avant 2016. Maeterlinck en a été douze ans le propriétaire. Sur la grille, un panneau interdisant de photographier : non mais quoi ? Parce que réservé aux soirées privées des messieurs dames, ça, ça n’a pas changé choisis ton camp (je choisis Beuxes). Je photographie quand même, et même leur portail éternellement clos.

C’est un étonnement pour moi-même : La Devinière, j’y suis venu pour la première fois tout début des années 1990, pour ces Nuits magnétique sur France Culture (voir archives audio du logbook), et c’était bien tristounet alors, rien à voir avec le joyau actuel (joyau simple, mais il est là le trésor : l’attention paysagère, l’accueil, les accrochages comme un voyage, presque tout simplement le temps qu’on sera là. Mon étonnement : des dizaines de fois venu, mais chaque fois c’était toujours directement là, dans la petite maison musée. La Roche-Clermault, Lerné ? On passait... Aujourd’hui, une sensation différente : qu’un lieu comme celui-ci, ce que le mot muséal ne recouvre pas, on n’en sent le frémissement que par ces toutes petites variations, les visiteurs mêmes (cette rencontre début juin avec des 5èmes d’Angoulême), la vie propre à l’équipe, au temps, le salut maintenant familier du jardinier. Maintenant, quand j’arrive à la Devinière, j’ai forcément eu déjà une ou plusieurs haltes dans des lieux Rabelais comme ceux évoqués plus haut. Ce qui change aussi, dans les coins et recoins des vieilles pierres, parce qu’on y a souvenir des lectures qu’on y a enregistrées. Et puis comment autrement saluer aussi Robida ?

Et les caves, les caves bien sûr. En ce moment les travaux de Florent Lamouroux, qui expose aussi à Saint-Cosme. Tu m’excuseras, Florent, pas simple de photographier, en ces lumières (vive Mohamed et ses installs) et à main levée.

Seuilly toujours, escale chez des plasticiens amis, et un autre versant qui ne m’appartient pas : vivre ici, ce qu’on apprend à sentir et voir autrement, le vieux puits et les couloirs en troglo dans le coteau, et ce qu’on fait de ses mains, jardin compris : une harmonie ? Merci de l’heure en partage, débarqués sans prévenir. Au mur cette composition de R. : là je m’autorise la photo !

Cessigny donc, et puis Lerné, encore tout petit saut de puce, un cercle de 6 km de rayon autour de la Devinière et tu as tout. Quand j’ai commencé à chercher des îles pour lire mon Quart Livre, ce petit tennis esseulé, mais sous le Saint-Martin de pierre, immuable et géant (ah bon, c’est quel culte, Bouddha ?), c’était ma première halte, elle fut favorable et j’y reviendrai.

Je l’ai dit sans ambages plus hauts : ces demeures et châteaux, ce sont des grilles et des défenses d’entrer. On voudrait tant, pourtant, rien que pour ces architectures, ces pierres et ces arbres, ou même le fait que Rabelais y est entré, puisqu’il y fait entrer Gargantua. Il y a pourtant au moins une exception, et je ne le savais pas : le château de Maulévrier, à Lerné, combien de fois je suis entré dans la cour, ai fait timidement ma photo sans oser trop avancer. Avec même se défaire de ce sentiment mien si longtemps : quand même, dans le Gargantua, on est chez l’ennemi ! Alors hier, quand une silhouette a surgi de la grange, on s’est excusé, dit qu’on venait juste pour admirer : –- Mais si entrez, pas longtemps, mais je vais vous montrer... Tu parles, du « pas longtemps », les trois étages de caves, puis le dessin enfoui des anciennes douves et les deux ailes disparues, la désastreuse incursion huguenote de 1568 (menée par un fils de bonne famille de Chinon, plus intéressé par les caches à magot plutôt que la théologie, on y reviendra, je lis tout ça sur Gallica ce soir même) une heure après on y était encore... Jamais eu de si près comme la radiographie d’une histoire... Immense merci monsieur Patrick R., vraiment touché nous 4, j’espère juste qu’on pourra reprendre l’histoire... Alors vous, lecteur du Tiers Livre, en voulez un peu ? Eh bien, passez vous abonner au journal de bord ! Et pensez aussi à revenir en septembre !

 

Fin sur Chavigny, mais c’est encore un lieu à venir. Point d’étape je vous dis.

L’ensemble des images avec le Lumix S5 qui a servi aux vidéos, monté de mon Sigma 24 1.4. Reprise sur Lightroom, on a photochopé par ci par là une poubelle une porte une maison ou autre détail incongru et inactuel.

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 juillet 2023
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