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2008.03.06 | Bergounioux il embrasserait une momie

Pierre Bergounioux donne son cours aux Beaux-Arts, le mercredi et le jeudi, à 14h. Alors, cette année, c’est facile de se retrouver et passer un moment ensemble. Rendez-vous tout près de l’amphi du Mûrier, où il parlera tout à l’heure de Descartes et Pascal : il a apporté avec lui son édition personnelle des Pensées, de 1866. L’objet matériel du livre reprend sens. Il dit que ça ne l’étonne pas que j’aie le même texte sur mon disque dur, mais que ça ne l’intéresse pas.

On prend la petite rue des Beaux-Arts, en face, pour rejoindre le bistrot ex-Ernest et prendre un plat du jour. Moi aussi je m’arrête toujours un moment devant la galerie aux objets précolombiens. C’est une tête momifiée. Aucune idée de la date, ni du prix. Pierre tombe en arrêt. On dirait que c’est entre lui et cet homme.

Je ne photographie jamais les gens et d’ailleurs quand j’essaye c’est flou. Mais avec Pierre on est depuis trop longtemps dans ce travail l’un vers l’autre. Ce que je photographie, ce n’est pas lui, mais l’idée qu’il me regarde depuis la momie. Qu’il est du temps de l’autre, qu’il en connaît la locution muette, depuis là où elle est, de l’autre côté de la vitre noire (d’ailleurs la galerie est vide, fermée). Et puis des objets qui ne seront pas pour nous, jamais : c’est de ça qu’on discute – Pierre aime amasser, chez lui, des raretés, je préfère aller les voir où elles sont et revenir. Il est de la montagne, et moi de la mer.

Quand j’installe les photos sur l’ordinateur, la tête momifiée est redevenue inaccessible, objet. Mais Pierre est bien là-bas, de l’autre côté de la vitre. Et ce sont elles qui s’agrippent à son reflet.

Au bistrot, il tient absolument à rédiger — avec un stylo-bille que C lui a rapporté de Chine — une carte postale à Pierre Michon, qu’on signe tous les deux. C’est comme le Pascal : depuis combien de temps je n’avais plus posté de carte postale ? Et qui m’en envoie des lettres, d’ailleurs, sinon lui, Pierre, maintenant que même les petites cartes de Gracq n’arrivent plus : on devait aller le voir ensemble, au printemps.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 6 mars 2008
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