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lire son propre livre

Chaque service de presse, la même violence : le plaisir, c’est quand on est dans le train, qu’on sort enfin le livre du sac et qu’on commence à le lire, du moins le parcourir, vérifier, qu’on a le droit pour quelques minutes, pas beaucoup, à considérer le livre imprimé avec la même étrangeté et promesse qu’on attendait autrefois d’un livre longtemps souhaité, enfin trouvé et acheté. Mais chaque fois c’est raté, on entre dans une salle où on trouve son livre en piles et paquets, avec une longue liste qui comporte évidemment des personnes à qui on a plaisir à l’envoyer, mais d’autres qui nous sont plus lointaines. Albin-Michel envoie des services de presse aux jurés du prix Goncourt et du prix de l’Académie française : non, je vire discrétos ces étiquettes-là et je mets des noms amis à la place. Bizarre, d’année en année, comme ces préparations de « rentrée littéraire » viennent plus tôt dans le calendrier – me souviens autrefois que les livres chez Minuit étaient imprimés vers le 20 juillet, et le service de presse transmis fin août aux chroniqueurs et critiques. Là, un peu comme les « présentations de saison » rituelles des théâtres, chaque éditeur présente ses bouquins, Albin-Michel ce matin, beaucoup de libraires, des librairies connues comme Compagnie ou Sauramps de Montpellier ou Decitre à Lyon (merci pour la présentation !), et d’autres de ce tissu qui couvre le pays, Challans, Le Mans ou Laval, L’Alinéa à Martigues ou les Sandales d’Empédocle à Besançon. On se retrouve donc aux deux bouts de la même grande table avec Sylvie Germain pour nos deux services de presse, ça permet la voix off et l’exercice passe plus facilement. Étrangeté radicale de son propre livre : ce qu’on a conquis sur soi-même, dans le creux de l’hiver, on le retrouve comme paysage où on marche, où on reconnaît tout, mais saurait-on le conquérir à nouveau ? Toujours une instance de peur, et ce qui vous saute à la figure c’est toujours d’abord les répétitions, remâchages, sur quoi pourtant on est revenu, cinq, dix, vingt fois. Statut du brut dans le récit. Phrase de Jabès en exergue au Hors champ de Sylvie Germain, variation sur un homme qui s’efface : « À quel point sommes-nous de notre présence lorsque nous devenons absents ? À quel point sommes-nous de notre absence lorsque nous nous savons présents ? »


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 juin 2009
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