droits d’auteur et édition numérique

en prolongement du dossier Livres Hebdo de cette semaine


Livres-Hebdo n’est pas un journal public : diffusé uniquement dans le milieu professionnel du livre, financé en large partie par la publicité des éditeurs, mais un tarif d’abonnement qui exclut d’emblée les auteurs de ce cercle des professionnels. Plusieurs fois je leur ai humblement suggéré qu’un accès à l’abonnement Internet, à tarif abordable par les auteurs, permettrait que cet hebdomadaire continue de rester le lieu professionnel d’échanges et de débats dont on a vitalement besoin ensemble, dans la secousse numérique amorcée. En attendant, leur site permet de suivre, grâce aux quelques lignes de début d’article en version publique, les actualités du monde de l’édition papier et des librairies. Accompagné de blogs pas toujours réguliers, même si le journal ne se préoccupe pas beaucoup de leur apparence graphique ni de la facilité de navigation.

Dans le dernier numéro, un dossier de quatre pages sur les droits d’auteurs au temps du numérique, dossier dont il ne m’appartient pas de diffuser ici le pdf [1]. Il a été l’occasion d’une discussion téléphonique d’une grande demi-heure avec Daniel Garcia. Daniel ayant synthétisé cette conversation – c’était la règle du jeu –, je voudrais ici reprendre quelques points.

Pas une semaine en ce moment sans qu’on nous propose, à moi ou à l’équipe publie.net, participation à des débats, tables rondes, journées d’études et de réflexion : mi octobre, la même semaine, j’en compte pas moins de cinq. Amusant aussi, pour nous qui avons toujours mené nos sites de façon bénévole, avec trois sous et beaucoup de partage et d’échanges, de voir débarquer muni de centaines de milliers d’euros des lieux institutionnels dont il semblerait que la seule action soit de faire proliférer ces séminaires et tables-rondes, sans faire le moindre geste de soutien à notre travail. Alors je réponds gentiment, mais pas sans un petit plaisir à dire : la réflexion concernant Internet, elle est déjà disponible sur Internet. Ce dont on a besoin, c’est de pratique, d’expériences. Mais bon, chacun son métier.

Donc, ci-dessous, quelques-uns des point évoqués lors de la discussion avec Daniel Garcia.

FB, rédigé dans AirTransat RS511 Paris-Montréal, ce 3 juin 2009.

1 _ propriété artistique et contrat d’édition
2 _ les contrats de droits numériques
3 _ le droit d’auteur, une notion historicisée comme les autres
4 _ l’identité numérique

Mise en ligne non définitive, je complèterai et préciserai dans les 48h à venir. Photo : Bagnolet, le 2 juin, composition avec livre POL, iPhone, Sony PRS-505 et 3 ordis.

 

1 _ propriété artistique et contrat d’édition

La propriété artistique d’un auteur sur son oeuvre s’exerce jusqu’à 70 ans après sa mort (50 ans dans l’univers anglo-saxon (ce qui devrait me permettre en septembre de diffuser Artaud et Giraudoux, via création lancée au Québec de ***** – je ne donne pas le nom, mais le domaine est réservé, et l’INPI en cours –, dont publie.net deviendra la filiale. dans le but de proposer à nos auteurs un contrat basé sur le droit anglo-saxon, moins encombré de bureaucratie et de prélèvements [2]. La spécificité française, via la création au 19ème siècle, via notamment Balzac et Hugo, de la Société des gens de lettres, pour limiter les contrefaçons, a renforcé progressivement le contrat d’édition pour lui donner comme temps d’exercice ce même temps de propriété artistique, et cette protection se renverse aujourd’hui en fragilité, et poids disproportionné de l’éditeur dans le contrat commercial qui le lie à l’auteur.

Ce qui est paradoxal, puisque dans ce système il n’y aurait jamais eu La Comédie humaine : Balzac limitait ses droits à un tirage de 2500 exemplaires, ou à une durée de 4 ans [3]. C’est parce qu’il reproposait une nouvelle version de ses textes à un nouvel éditeur, que la Comédie humaine s’est révélée comme construction, alors qu’aux deux-tiers déjà écrite. Ce n’est pas limité à Balzac : un texte aussi important pour notre vision de la littérature, la Bibliothèque de Babel de Borges, c’est cinq états successifs du texte publiés en sept ans, quand nous sommes contraints pour notre part à la multiplication horizontale des manuscrits, au point que l’édition s’y noie (voir ma fiction Tumulte Pour un moratoire de l’édition).

En Allemagne, en Italie, le droit commercial impose des durées de dix ans renouvelables : en France, le droit éditorial est une exception au droit commercial, d’où la fragilité et la tension des éditeurs sur ce point. Dans le domaine anglo-saxon, c’est l’agent littéraire qui négocie cette durée. Qu’un auteur aujourd’hui ose demander à son éditeur de limiter le contrat à dix ans, peu de chance qu’il refuse. Nous avons l’un comme l’autre intérêt à ré-examiner, de dix ans en dix ans, ce qu’on fait : on réimprime, on propose à l’auteur de racheter les quelques dizaines d’exemplaires restants et de reprendre ses droits, on décide ensemble d’une reprise numérique de l’ouvrage, au moins pour les bibliothèques ?

En tout cas, l’enjeu ici déborde largement le numérique : pour qu’un auteur récupère ses droits, il doit prouver que l’éditeur n’en assume plus la distribution. Il suffit à l’éditeur d’en garder soixante, et il aura de quoi longtemps prouver que l’ouvrage est toujours disponible même si hors vente depuis longtemps : sait-on jamais, une mort prématurée, un prix Nobel...

 

2_les contrats de droits numériques

Much ado nothing, disait je ne sais quel auteur de polars historiques plus quelques farces et tragédies. Toutes ces tables rondes en font une espèce de troll (comme on dit sur le web des questions récurrentes ou des commentateurs sangsue), et dans la conversation de salon c’est bien mieux que de parler de logique de flux ou de cartes heuristiques : le marché va-t-il accepter le numérique comme il a accepté le poche ou la diffusion en grande surface ?

Pourquoi les éditeurs sont-ils si tendus sur la question ? Parce que le droit français, c’est un de ses axiomes de fond, énonce clairement qu’un contrat ne vaut que par ce qu’il spécifie. Ainsi, un contrat d’édition, et leur quasi totalité jusqu’à 2002, ne spécifiant pas l’exploitation numérique, il ne saurait valoir pour l’usage et la diffusion numérique des textes, pour laquelle l’auteur est donc libre de négocier avec le partenaire de son choix. Toute récusation serait annulée par n’importe quel tribunal, à moins que l’éditeur n’emmène ça sur le terrain de la seule concurrence déloyale.

En fait, cela n’a pas d’importance (voir intervention Bernard Werber dans Livres-Hebdo : « Je préfère inciter mes éditeurs à s’équiper. ») : aucun auteur n’a intérêt à ce genre de guéguerre, nous nous battons ensemble pour les mêmes objectifs. Seulement, c’est nous qui sommes en position de force : qui de nous, auteur, n’a pas des livres publiés avant 2002 chez des éditeurs qui ne se préoccupent même plus de le saluer quand on se croise ?

Mais c’est quoi, les auteurs ? Combien on est à vivre de nos contrats d’édition ? Quelques centaines, sur les 14 000 répertoriés par nos sociétés ? Alors évidemment, chacun son métier, ses occupations, et bien heureux déjà d’être publié. Jamais vu que les propositions d’Alain Absire sur ces questions aient été beaucoup relayés. La Maison des écrivains, créée autrefois pour une présence collective sur ces questions, s’en est parti nager dans d’autres horizons. Alors nos amis éditeurs y sont allés peut-être un peu vite à l’esbroufe ?

Reprenons : le contrat d’édition parle de droits principaux et de droits dérivés. Ces droits dérivés sont traditionnellement fixés à 50/50 – la traduction, les droits d’exploitation radio. Il semblait donc parfaitement naturel, au départ, que la diffusion pour iPhone ou eBooks participe de ces mêmes droits dérivés.

Et qu’est-ce que coûte un livre numérique ? [4] Rien n’est pareil, dans ce métier. Le temps de préparation, discussion avec l’auteur, correction et révision, est le même. Le temps de mise en page par contre va vite différer : imprimer une couv en quadrichromie, ce n’est pas les mêmes résolutions que la même image sur écran. Ce qui est la richesse, le fonds de commerce ou l’actif, la fraiseuse et le tour dans l’atelier, d’un laboratoire comme publie.net, c’est la complexité progressive des masques InDesign, le logiciel de mise en page. La richesse, ce n’est pas – comme dans l’édition papier – le produit final, mais au contraire le fichier source. Nos masques InDesign permettent de décliner ce fichier selon les formats (homothéties écran, formats recomposables genre epub, feuilletoir en ligne avec annotations et recherche).

C’est donc accumuler un savoir sur des grilles logicielles qui, elles, permettront instantanément la conversion du fichier source : changement de paradigme. Et ensuite, évidemment aucun critère n’est pareil, pas de carton, d’entrepôts, de camions, juste nos serveurs, et – ça aussi c’est le trésor le plus considérable – le temps développeur.

Pourquoi le malaise des éditeurs ? Deux raisons :
 milieu des années 90, la PAO, maquettage sur ordinateur, s’est généralisée dans la chaîne éditoriale, et le matériel (un bon Mac bi-coeur et X-Press) n’était plus l’apanage des grosses maisons. Alors elles ont externalisé ces tâches dans une galaxie de petites structures indépendantes. À charge pour eux de payer leur licence logicielle, licence polices de caractères (celles de publie.net sont dûment acquittées auprès d’Adobe, et sans barguigner, puisque ce sont des emboîtements de fichiers capables techniquement de résister à l’affichage quels que soient la machine, le support mobile etc). Mais le bon à tirer d’un livre, c’est l’intégration du travail du correcteur, des dernières modifications de l’auteur. Il y a 2 ans, les principales maisons d’édition ont donc soudainement découvert qu’elles n’étaient pas propriétaires du texte numérique, mais seulement du PDF terminal remis par la PAO free-lance. D’où leur pression sur le CNL pour un programme de numérisation aidé par les fonds publics.
 la fabrication d’un ouvrage numérique, ce n’est pas prendre le PDF du livre imprimé et de le scanner. C’est une démarche radicalement autreÛÛle plus merveilleux, pour un lire écran convenable (ah, combien de fois on l’entend, cette réflexion : « Moi je n’aime pas lire sur écran », proportionnelle aux imbitables PDF A4 en circulation, alors que le A4 n’était qu’une norme commode pour la diffusion massive des photocopieuses, totalement inadaptée à l’écran, de même que le format vertical des livres est né de considérations – rangement en rayonnages sur vos murs sans écarter trop le centre de gravité par exemple – qui ne sont pas une loi génétique : les livres jusqu’au 17ème siècle sont grands comme nos écrans d’iPhone, et la rupture de format instituée par des collections comme 10/18 ou plus tard Actes Sud ont eu pour vocation de secouer nos habitudes de saisie visuelle.]], c’est d’avoir à réexaminer, pour chaque texte, ces paramètres essentiels que sont le blanc, la marge, l’interligne : on ne lit pas pareil sur une Sony et un CyBook, parce que sur la Sony le bord d’aluminium devient la marge du texte. Or, les services informatiques et les services éditoriaux des éditeurs sont restés soigneusement séparés, de même qu’ils n’ont jamais délégué à leurs services de presse la liberté de l’intervention web 2.0 seule capable (il y a des exceptions, voir le Marcheur solitaire de Fiction & Cie sur Face Book). Les développeurs, pour les points en balance, moi je sais bien où ils sont, j’en connais quelques-uns : mais pas dans les maisons d’édition.

Alors on nous propose un contrat, à peu près standard si j’en crois les différentes versions reçues, nous proposant pour la diffusion de livre numérique la même rétribution que le livre papier, à l’unité : donc la fourchette 11/14% selon la quantité.

Quel contresens : les éditeurs américains ont pris les devants et proposé à leurs auteurs un minimum de 25% – deux raisons : une distribution des coûts évidemment radicalement autre, et surtout le rôle complètement différent de l’auteur dans la diffusion de son livre, notamment via son activité numérique. Alors comprenez qu’on traîne la patte à signer ces « avenants ».

Ajoutez qu’ils s’établissent sur une notion de portage, le livre numérique est la réplique du livre papier sur des supports électroniques, alors que la révolution numérique c’est le surgissement de produits de diffusion neufs : achetons le livre papier, et le passage en caisse, à la librairie, donnera accès à une version numérique qui vous permettra de lire aussi le livre sur votre iPhone en allant au travail le matin, de le retrouver sur votre Sony ou CyBook lorsque vous serez en vacances, ou bien, sur votre ordinateur, de pratiquer la recherche plein texte, d’annoter et naviguer parmi les annotations d’autres lecteurs, de disposer d’iconographie ou matériaux complémentaires qui n’exigeaient pas l’impression papier.

Mais c’est aussi l’accès par abonnement, comme dans les anciens cabinets de lecture, la possibilité de lire chez vous depuis votre carte lecteur de la bibliothèque municipale ou votre login de bibliothèque universitaire.

Ajoutons un point crucial, mais qui ne peut intervenir dans les discussions posant le livre au singulier : la recomposition interne des maisons d’édition vers le plus rentable créant une disparité accrue entre la petite ou micro édition – laquelle apprend très bien à se servir d’Internet et vivre en osmose avec tel site (voir Poezibao ou remue.net) – et l’édition industrielle, qui vit de plus en plus sur le livre à rotation rapide et le livre non-littérature. La question est donc progressivement que des continents entiers de la jeune création n’ont d’existence que numérique. Apprendre à lire numérique, c’est se garantir l’accès à des formes de création et d’interrogation du langage qui n’auront pas d’autre existence. Mais que ce n’est pas négatif, puisque ces écritures naissent en fonction du média qui les porte, et le papier, en retour, n’est qu’un mode parmi d’autres d’une existence globale, incluant la performance, l’audio, les ressources images, et l’écriture directement numérique (voir ainsi le Sophie Project).

La question du portage numérique de nos oeuvres papier est donc une question très annexe, une pure situation de transition. Ce qui compte, c’est comment nous inventons des usages proprement numériques de diffusion, et qu’ils ne nous amènent pas sur les champs de l’édition tradi. Mais est-ce si grave ? Y a-t-il une obligation à une radio d’être aussi une télévision, et réciproquement ? Les rôles de l’imprimeur, le rôle bien plus récent de l’éditeur, n’ont jamais été indépendants de leur contexte précis d’apparition. Le libraire même a été au départ, et souvent point de rassemblement de cette chaîne : la façon dont ils abandonnent aux grossistes ou aux fournisseurs de données numériques les ressources sciences humaines et sociales ou littérature des bibliothèques semble parfois un hara-kiri incompréhensible, déniant leur rôle de prescripteur, orienteur...

L’axiome principal, c’est donc que non, résolument non, le numérique ne pourra pas assurer (de sitôt, jamais ?) les salaires, loyers, l’infrastructure des grandes maisons d’édition. De nouveaux métiers naissent, basés sur d’autres modes de diffusion de la création littéraire et artistique [5], mais qui supposent de basculer dans d’autres paradigmes. Voir l’échec de la solution Fnac/Numilog, lancée à grands frais en octobre : acheter au même prix que le livre papier un fichier que vous ne pourrez porter que 6 fois d’une machine à l’autre, et lire seulement via Adobe Digitals... Pas de pitié pour les mauvaises idées, en temps de mutation [6]

Ainsi, à publie.net, notre contrat inclut une clause de résiliation immédiate : on peut retirer en quelques minutes un ouvrage de la diffusion. Cela pose d’autres questions : catalogage, pérennité de l’accès bibliothèque, mais c’est pareil dans la circulation des oeuvres que revendent ou se prêtent les musées. Là encore, le concept du temps est primordial : possibilité de diffuser un chantier en cours, et le stopper au moment de la publication papier, possibilité de diffuser sur une période convenue avec l’auteur tel ou tel texte, etc...

 

3 _ le droit d’auteur, une notion historicisée comme les autres

Haro, haro, simplifio (c’est du latin) : quoi, ce type met en cause le droit d’auteur ? Que non, que non. Pas cracher dans la soupe : voyez le théâtre, la SACD, lancée quand la scène était un art populaire, assure pour la diffusion une protection dont les revenus (je le sais pour moi, humblement) sont disproportionnés avec ceux du livre, en tout cas tant que durera le miracle de ce réseau du théâtre subventionné.

Rappelons quand même qu’environ 2/3 de l’humanité vit hors d’un régime de droits d’auteurs [7]. La notion d’écrivain est récente : pas de livre meilleur que Naissance de l’écrivain d’Alain Viala (Minuit, 1984), sur cette invention du 17ème siècle. Mais dans un processus industriel à rotation ultra-courte (les livres de l’an passé ne sont plus nos livres), et de recentration des grandes maisons sur la production non-littérature, bien forcé de constater que le système ne suffit plus.

Tous les auteurs ont reçu un jour un versement de 16 ou 28 euros pour utilisation d’un passage de leur travail dans un manuel scolaire : est-ce qu’il n’aurait pas mieux valu le leur donner, compte tenu du dialogue qui s’en induit avec les classes ? J’ai touché, l’an passé, 37 euros au titre de la taxe photocopie, gigantesque usine à gaz qui finance d’abord sa propre structure, et les organes de presse écrite – d’accord qu’ils en ont bien besoin. C’est ce système que nos Hadopiens dirigeants ont décidé encore d’alourdir. Est-ce qu’il ne s’agit pas de faire carrément demi-tour ? Dans le numérique, la logique utilisateur s’appuie de fait sur des flux gratuits. L’économie, et elle n’est pas une micro-économie, d’Internet invente ses modes de viabilité (voir l’excellent Rue89) non pas sur la publicité polluante ou indigne (ah, ces annonces Google qui vous sabotent tout un site), mais sur des services liés à la validité préalable des contenus gratuits, qui fondent la circulation. C’est comme ça. Alors on joue le jeu ou pas, à votre choix, amis.

Mais ce qui fait vivre un auteur, c’est aussi l’inscription dans le temps d’une action, texte de commande, participation à stage ou lectures, commande événementielle, et le site Internet devient le creuset ou l’appel de ce qui se se passe de neuf dans le mot auteur. La législation ? Elle a tranché pour nous : plus possible de rémunérer un atelier ou une lecture en droits d’auteur, l’auteur est invité à créer son SIRET, et bénéficiera, jusqu’à 30 000 euros annuels si je ne me trompe pas, depuis le 1er janvier, d’une contribution sociale + TVA forfaitaire à 23% : et j’en reçois des mails de copains paumés, qui découvrent ça après et non avant... Là aussi, notre coopérative publie.net c’est un mode de réponse.

Alors contre les droits d’auteur ? Bien sûr que non. Seul constat que la proposition s’est complexifiée, et que dans cette complexification ce qui est rétribué tient de l’intervention, du service, et passe de fait par un mode de rétribution qui déjà s’est éloigné de l’univers des droits d’auteur. De même que le livre n’est plus le domaine exclusif de notre activité et notre présence (je n’en fais pas un dogme, juste je prends acte), de même un dossier ou une table-ronde centrée sur la problématique des droits d’auteur ne mérite pas qu’on aille y perdre notre temps, on à trop de boulot là où se constituent ces usages neufs.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’exemple dont j’avais discuté avec Daniel Garcia : j’ai publié chez Minuit en 1990 un essai sur Rabelais (que j’aurais d’ailleurs toute liberté à diffuser en numérique, le contrat ne spécifiant rien) et qui se vend régulièrement à une quarantaine d’exemplaires par an : le diffuser numériquement serait pour moi l’occasion d’une actualisation et d’un approfondissement de ce travail, ma connaissance de Rabelais, et son propre contexte éditorial, ayant radicalement changé en presque 20 ans [8]. Or ce que j’aime, avec Rabelais, c’est de proposer des lectures performances, lire et raconter mêlés : ce serait un lien de plus avec le public que proposer l’édition numérique en parallèle de ces lectures, qui sont – en tant qu’auteur – un poids économique sans proportion avec les revenus du livre...

Là encore, tout est à inventer, expérimenter. Mais une certitude : les modes de rémunération neufs qu’autorise l’Internet, poumon vital, voire déjà principal, pour l’auteur, ne ressortissent pas du domaine des droits d’auteur. À nous de nous en saisir, ou pas – mais l’éditeur papier n’y a pas forcément le même rôle.

 

4 _ de l’identité numérique

J’aimerais conclure ce billet, plutôt à l’attention des collègues auteur, par un appel déjà plusieurs fois émis (y compris déjà avec Daniel Garcia). Ce que je constate, c’est une bipolarisation grandissante, et, à la frontière de cette bipolarisation, des brusques franchissements, ou des franchissements trop erratiques.

Bipolarisation : parce que le monde des blogs littérature est désormais un monde de création devenu le principal laboratoire littéraire. Les revues ont migré, les plate-formes comme remue.net, à bientôt 10 ans d’existence, continuent d’innover, se développer, accueillir. Loin de parler d’école, surtout trop pas comme diraient mes mômes, c’est drôlement impressionnant, depuis un an ou deux, de voir se créer ces relations entre jeunes écrivains venus d’abord à la publication par le site.

Mais, si vous avez des livres publiés, lancez la recherche à votre nom sur Google (et testez les autres moteurs, comparez leurs algorithmes et résultats) – les liens sponsorisés, résultats livres sur fnac.com, amazon, chapitre et les autres, viendront bien avant votre nom. Un nom de domaine, c’est 5 euros par an : mais si vous vous contentez d’un blog tout fait, hébergé par les excellents wordpress ou blogspot, Google balaiera les ailes de papillon du web avec bien moins de ranking que si vous avez fait cette dépense. Idem pour une page face book : des dizaines et dizaines d’auteurs en ont créé l’année passée. Mais face book est un outil de flux : il propage vos informations, à condition que vous les ayez ancrées sur votre propre site. Internet est vaste, les places ne sont pas prises, tout est constamment en mouvement. On s’y use d’ailleurs pas mal, il peut y avoir bénéfice à commencer tard, avec les outils tout faits.

Mais ce qui est l’autre constat, c’est la façon dont nombre d’auteurs « papier », même les meilleurs, et dans les meilleures maisons, considèrent qu’Internet est un outil de médiation, donc la tâche de leur éditeur ou de qui fera leur recension. Qu’on s’y salit les mains ? Il y aurait le noble papier, et la vie Internet un déni de culture ? J’ai pris en charge un groupe de 18 étudiants la semaine dernière à Poitiers, une seule n’utilisait pas face book. Cela veut dire des modes de lecture, d’information différents. On se fabrique son univers de représentation du monde par son agrégateur (autrefois, on lisait Le Monde, Le Figaro ou Libération, ou 2 sur les 3, mais jamais les 3, aujourd’hui on se fabrique en permanence son propre journal : il en va de même pour nos sources de littérature.

Et si l’enjeu essentiel de ces discussions surgonflées, pour éviter de considérer l’ensemble du paysage (je renouvelle l’invitation à lire Fabrice Epelboin), était aussi pour inciter les auteurs à se comporter comme si le Net et leur statut d’écrivain s’opposaient, alors que toute l’invention aujourd’hui est ici dans leur articulation ?

Mais choisissez bien, choisissez vite. Oui, pour nous qui avons choisi le risque web, l’impression en ce moment que c’est tout l’outil qui bascule, qu’il faut apprendre à se construire une veille numérique (testez donc, parmi les nouveaux arrivés, feedly, les nouvelles fonctions netvibes, ou pearltrees....), que l’interrogation est aussi sur le statut et le rôle de l’auteur, autant que sur les formes nouvelles d’écriture qui s’en induisent. Et que ce ne soit pas un plaisir ? Allez donc demander à Chevillard...

 

[1Si quelqu’un de Livres Hebdo passe ici et m’autorise à joindre à cette page de réflexion libre les 4 pages du PDF de leur dossier, je les mettrai volontiers en circulation commune, pour pousser le débat.

[2Pour le numérique, ce qui est vital, c’est la distribution délocalisée : de la même façon que les contrats signés pour le livre de poche diminuent nos droits à 5%, mais nous donnent accès à un cercle de lecteurs plus large, pour le même prix de téléchargement d’un texte numérique, nous souhaitons accorder à des libraires (essais en cours via ePagine), à des distributeurs comme fnac.com, ou des opérateurs téléphoniques (iPhone.app) mais aussi directement via les blogs des auteurs), l’accès à ces téléchargements moyennant ristourne, en gardant le principe d’un partage 50/50 des recettes : ce que nous avons commercialement le droit de faire, mais pas dans le cadre du droit d’auteur, qui spécifie un pourcentage d’après le prix de vente. Un pourcentage de 14% sur prix HT mes livres papier, c’est environ 1,72 euro par exemplaire vendu : dans notre modèle, même avec un téléchargement à 5,50 euros (4,60 hors UE, sans TVA), nous rétribuons plus nos auteurs en valeur absolue – il nous semble parfaitement acceptable, à mesure que nous élargissons le cercle des relais, de défalquer à mesure la ristourne de 101A2 ou 14% négociable proposée aux intermédiaires. La migration québécoise de publie.net/éditorial (via structure en cours de création) est le seul moyen pour nous de faire sauter ce verrou, sauf à se risquer d’être poursuivi en France pour pratique illégale : à mon grand regret, mais c’est une question de fond, très concrète. Probable d’ailleurs que dans la décision Gallimard-La Martinière de confier leur distribution au groupe québécois DeMarque leurs juristes ont envisagé cette question discrète mais essentielle.

[3voir les travaux de Stéphane Vachon ou l’inusable biographie de Roger Pierrot, dont le fils Alain est un infatigable scruteur de ces questions, ce n’est pas indiscret de dire que nous attendons tous avec certaine impatience l’étude en cours sur la définition même de livre à laquelle il travaille. Voir aussi, sur Balzac, l’édition Quarto en deux tomes des textes brefs présentés de façon chronologique, et ce que ça change radicalement à notre approche.

[4Daniel Garcia, dans son billet de synthèse, et sans que je lui en veuille le moins du monde dans ce cadre, a un peu simplifié ma position.

[5le dossier Livres Hebdo le montre très bien pour la bande dessinée, qui n’a pas hésité à faire le saut...

[6dans une optique résolument sans drm, nos textes publie.net incluent seulement un tatouage (personnalisable, sous forme d’ex-libris) lors du téléchargement : mais la mise à jour d’oeuvres en évolution permanente, l’accès à nos fonctions recherche et annotations, nous faisons le pari que c’est cela la rétribution de notre plate-forme : l’accès, et non pas l’augmentation quantitative d’une bibliothèque numérique – la profusion étant aussi un axiome de base.

[7suivre les combats admirables d’Emmanuel Pierrat, lorsqu’une boîte américaine s’est récemment avisée de faire passer sous régime de la propriété industrielle le riz « Basmati », ou pour faire reconnaître à l’échelle internationale un droit d’auteur collectif pour le patrimoine des pays d’Afrique lorsqu’exploité culturellement, et bien sûr se référer à son inusable guide...

[8Il s’agissait de défendre, par exemple, le respect de la ponctuation originale de Rabelais. Je me souviens encore m’être fait agresser dans le Monde par un sous-critique, René de Ceccaty, qui me traitait carrément de péquenot à vouloir me mêler de ce qui ne concernait que l’université. Laquelle université, début des années 70, avait mis dehors – ils ont tous trouvé havre aux USA – ceux qui oeuvraient à une nouvelle lecture de Rabelais : François Rigolot, Gérard Defaux, Jean Paris. En 1995, toutes les rééditions de Rabelais sont revenues à la ponctuation d’origine.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 4 juin 2009
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