[2] pour écrire ce livre essentiel

pourquoi Proust s’est-il refusé à publier Jean Santeuil ?


 

Et que le plus grand mystère dans la genèse de la Recherche serait de savoir comment Proust a pu prendre intérieurement la décision de ne pas publier Jean Santeuil.

Puisque après tout, tout est déjà dans Jean Santeuil, et que s’il avait voulu, il lui aurait suffi de payer l’éditeur. Ce qu’il a fait de toute façon pour le premier Swann, celui de 1913. Ce qu’on fête de centenaire l’an prochain est l’avènement d’une oeuvre auto-éditée, d’une oeuvre à compte d’auteur.

Si Jean Santeuil avait été publié, la force très vive du livre, même dans un dispositif classique, le mettait loin devant les momies vivantes du temps, Anatole France, Bourget et les autres. Seulement il n’aurait pu y avoir la Recherche, puisque la même matière y sert de fond et d’élan, mais cette fois transposée dans la seule détermination de la constitution de l’écriture, et la construction du mouvement circulaire. La Recherche n’est circulaire que parce qu’elle se sait et s’éprouve circulaire dès le départ et en chaque point de son parcours.

Le premier cercle, le tour pour rien qui lui sert de soubassement, fait de Santeuil une matière invisible mais organiquement part de la Recherche. Dans la Recherche revient en permanence, comme une de ses récurrences dénombrables, ce qui fait la différence entre un petit maître et un grand écrivain, le mystère ou l’arbitraire ou la dérision que c’est (Bergotte et les pommes de terre).

Dans la pulsion obscure qui fait que Proust se refuse à publier Jean Santeuil pourtant publiable, il y a l’arrachement sans promesse à ce qu’exprime précisément cette occurrence, en tout point de la Recherche.

Et comment se saisir pour soi de cette pulsion obscure, quand elle joue avec une telle violence contre vous-même.


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1ère mise en ligne 17 novembre 2012 et dernière modification le 17 février 2013
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