Conversations avec Keith Richards | 4, abattoirs

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Conversations avec Keith Richards
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EVER SINCE I LEFT SCHOOL, NOBODY HAS EVER HEARD A "YES SIR" FROM ME. APART FROM A FEW EXCEPTIONS : IN COURT AND IN JAIL. KR.

 

4 _ Abattoir


Keith Richards m’avait dit : « Dans le rock’n roll, celui qui tient la guitare a le rôle du percuteur (striker). »

Keith Richards m’avait dit : « J’entends bien : du percuteur sur le bœuf, et chaque chanson le nouveau bœuf dans la file, une masse après une autre masse. »

Keith Richards m’avait dit : « Rolling Stones, Paris, 1976 : Abattoirs in french. Si tu y étais t’as tout compris. Tu y étais, hein ? »

Keith Richards avait ajouté : « J’ai visité enfant un de ces abattoirs, il fallait nourrir Londres après guerre et ce jour-là j’ai compris » (notre conversation était partie de cela).

Keith Richards me disait parfois : « Dans l’excès où parfois on se porte, pense à ce toi-même resté en arrière, et tue-le. »

Keith Richards me disait souvent : « C’est dur, mais ça passe et on oublie. Le bœuf lui il ne peut plus. »

Keith Richards me disait aussi : « Cet homme dont la fonction huit cents fois par jour est de tuer un bœuf, jouer comme cela avec soi-même, voilà une vie de musicien. »

Keith Richards me disait, mais rarement : « Tu marches dans une file de cent vingt toi-même, tu voudrais être le cent vingt-et-unième pour un sursis (retrieve), mais peu de chance. »

Keith Richards me disait : « Quand je rêve, les paysages sont vides, les yeux ternes — se réveiller du rêve pour en imposer un plus vif. »

Keith Richards me disait : « Nos conversations me désespèrent, rien du monde au-dedans qui puisse nous aider, que notre désarroi même. »

Keith Richards aimait à dire : « L’élan que tu as dans le pire du noir, sauve-le dans le geste clair qui est écrire ou jouer. Puisque toi tu écris. »

Keith Richards disait souvent : « J’ai voyagé, eu des maisons, aimé des pays, parfois quelques gens – la détresse seule nous conseille, n’appelle que si tu es loin. »

Keith Richards me disait parfois : « L’homme abattu laisse sa carcasse à terre, se regarde immobile et s’éloigne : voilà qui je suis. »

Keith Richards me disait souvent : « Comprendre que la guitare est devant toi et toi seulement derrière. T’auras compris le rock’n roll. »

Keith Richards me disait souvent : « Comprendre que le rock’n roll t’ignore, c’est là que tout commence, et ça vaut pour beaucoup de choses, même pour toi par rapport à Keith Richards. »

Keith Richards me disait souvent : « Ce que tu notes n’a pas de valeur, ce que je te dis, je ne l’invente que parce que tu le notes. »

Keith Richards me disait souvent : « Tu es marrant, à tout noter et rien répondre : je ne dis que des bêtises qui me font peur encore plus que ma peur. »

Keith Richards me disait : « La vraie peur est celle que l’homme abattu qui est toi, tu en sois séparé à jamais, alors réveille-le vite : voilà, la musique. »

Keith Richards disait : « Une guitare dans tes mains est le percuteur dans les mains du boucher à l’abattoir. À chaque accord, pense à l’œil du bœuf – voilà ce que les gens admirent dans les accords de Keith Richards. »

Keith Richards aimait à me dire : « Croire en soi, c’est le bœuf qui marche vers le percuteur, prends plutôt l’autre place. »

Keith Richards aimait à me dire : « La bête qui tombe, c’est cette fraction de seconde qui m’intéresse, distends-la à échelle de ta vie. »

Keith Richards me disait parfois : « La peau de soi qu’on tend au bout de son bras, celle-même qu’ils acclament, et toi tu pleures. »

Keith Richards disait souvent : « Quand tu pleures, c’est encore la guitare que tu embrasses. Enfin, autrefois. »

Keith Richards aimait à me dire : « Aussi bien, qu’ils se moquent, te crachent à la face, ce n’est rien qu’à cette peau au bout de ta main qu’ils s’adressent. »

Keith Richards aimait à dire : « Le silence en musique est l’instant du bœuf qui comprend le percuteur. Alors frappe ton accord, cette syncope s’appelle rock’n roll. »

Keith Richards me le répétait chaque fois que j’arrivais : « Aujourd’hui ma tête est morte, le monde a gagné, dedans rien qu’un tissu usé. »

Keith Richards me répétait toujours : « Sois toujours dans le dos de toi-même — le percuteur ne tue que l’animal qui te précède. »

Keith Richards ajoutait après un silence : « Dans le rock’n roll, tout tient au premier accord – c’est cela que t’apprend l’abattoir. »

Keith Richards aimait à dire : « La vie ordinaire est un massacre, la vie extraordinaire le même massacre, mais en musique. »

Keith Richards le disait ces soirs-là : « Ceux qui baissent le front devant le percuteur, parce que rien pour s’enfuir. Savoir briser. »

Keith Richards m’avait dit, mais une seule fois : « Grandis jusqu’à toi-même, regarde par tes yeux. Une fois suffit, peur pour toujours. »

Keith Richards expliquait ainsi que de cela il ne parlait jamais : « Cela, je le tais. »

Keith Richards expliquait ainsi ce qu’il ne comprenait pas : « Là, tu vois, je ne comprends pas. »

Keith Richards me le répétait avec insistance : « L’art est celui du maçon, une brique, une autre brique — les vraies, pas celles de la banque. »

Keith Richards disait : « J’ai compris la politique en une seule fois pour toujours : ceux-là dans l’abattoir craignaient la place du bœuf. »

Keith Richards disait : « Le chant c’est se suspendre à cela même dont tu rêves, et le rêver assez fort pour que cela tienne. »

Keith Richards me disait : « Dans l’exercice du rêve, assure-toi que l’homme au percuteur s’est bien mis face à toi au-devant de la file. »

Keith Richards me disait : « Dans l’exercice du rêve, pense aux yeux arrachés de Gloucester, l’immense légèreté du chanteur s’atteint là. »

J’ai demandé à Keith Richards : « Ainsi, tu connais Shakespeare ? » Il m’a répondu : « Je connais Shakespeare. » Puis : « Et réciproquement. »

Keith Richards me disait parfois : « Dans l’exercice du rêve, évite le jour gris des autres, où sont os et mâchoires, elles mordent. »

Keith Richards s’était brusquement souvenu : « Vole un bœuf et mange ton œuf : j’ai rien compris à ce que tu m’as dit. Vous êtes bizarres vous les Français. You motherfucker frog eaters, you french bitches. »

Keith Richards avait ajouté une fois : « Dans l’exercice du rêve, seuls ceux traversent qui oublient n’avoir été que rêve. Ça colle, comme phrase ? »

Keith Richards disait : « Qui confond ton nom ou les lettres de ton nom, mène-le à l’homme aux bœufs, et son percuteur. »

Keith Richards me disait souvent : « Tes morts tu les portes dans ton dos, tu sens leurs ongles, pas besoin de révérer les rites pauvres. »

Keith Richards disait : « Les morts sont les morts, tu les ignores. C’est lorsque tu fais face au percuteur que tu sais qu’ils sont déjà la main sur toi. »

Keith Richards disait souvent : « Personne n’a jamais compris en me parlant la danse intérieure où loin d’eux je suis. »

Keith Richards disait : « Souvent tu te réveilles, te disant : ainsi est donc l’autre côté de la mort ? Ce monde-ci ne te semble pas mieux. »

Keith Richards aimait à dire : « Apprendre guitare en main à venir où tu sais, dans le rêve, la trappe des morts ouverte, toi dedans prêt. »

Keith Richards me disait : « Terne la vie de ceux qui n’apprennent pas à traverser le rêve et son risque. »

Keith Richards précisait pour mes notes : « Rêver commence tôt, maîtriser le rêve est l’étape. Alors commencent les dégâts sur celui qui s’y emploie. »

Keith Richards me disait : « Qui comprendrait ce que tu notes, quand toi-même qui m’écoutes me comprends si peu. »

Keith Richards me disait : « Je n’ai pas de leçon pour toi, va voir le bœuf devant le percuteur, et celui qui le suit venir aussi. »

Keith Richards me disait : « Que t’enseignerais-je, sinon que les mots s’arrachent à l’homme comme la viande au bœuf. Si c’est comme le rock’n roll. »

Keith Richards me disait : « La mort du bœuf après un autre bœuf, c’est le percuteur de nos jours, et j’ai bien trop de jours. »

Keith Richards aimait à me dire : « Dans l’exercice du rêve, apprends tout d’abord à ne jamais croire que tu rêves. »

Keith Richards me disait souvent : « Sache ne pas sortir de ton rêve, tourne-toi contre le mur comme le bœuf va au percuteur. »

Keith Richards parfois se taisait : « Les mots sont de mauvaises lampes, éteins-les pour trouver ce qui parle. »

Keith Richards me disait : « J’ai désappris d’être moi-même. Le rêve enseigne cela, les morts ont pris ta bouche, mangent tes yeux. »

Keith Richards m’avait dit de recopier : « Tant de fois je suis allé voir le bœuf devant le percuteur : il ne comprend pas. »

Keith Richards avait ajouté : « Rappelle-toi toujours que tout ce qu’on dit ne vaut que pour l’homme seul avec sa guitare, jouant devant l’abîme des autres. »

Keith Richards ajoutait : « Je préfère plusieurs séances de trente qu’une seule de soixante, ça use, tes trucs. »

Keith Richards me disait alors : « T’as pas tes trente, là ? » (« Le double, j’ai répondu, on est monté au double... – Un encore », a-t-il dit pensif.)

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 février 2013
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