divergence sur la Maison des Ecrivains

on se sent bien seul dans la corporation


Je laisse en ligne ce texte, justifiant d’un départ que j’ai voulu discret pour ne pas me reconnaître dans les options actuellement prises par la Maison des écrivains, notamment en qualifiant de mission sociale ou de service aux auteurs les expériences et partenariats de terrain que nous développons, au plus haut de nous-mêmes, et de la relation que nous cherchons du langage et du monde, par le récit et le poème, dans ces expériences. L’assemblée générale de la Maison des écrivains, le 29 juin a entériné ce départ. Les éléments du rapport financier confirment la baisse conséquente du nombre d’adhérents (plus d’un tiers en deux ans), ainsi que la volatilisation du budget du Temps des écrivains à l’université (de 18 000 euros à 10 000 euros : j’étais bien loin du compte). Je n’ai aucune colère ni dépit, et tant mieux si s’ouvrent de nouveaux partenariats, côté BNF ou France-Culture, tant mieux si l’éducation nationale prolonge l’aumôme (10 000 euros Desco). Mais pour ma part — et, malheureusement, comme grand nombre d’auteurs ayant à affronter les aléas de la vie professionnelle, et dont il semblerait bien que le départ arrange tout le monde — dans ces combats auxquels nous sommes sans cesse contraints, dans le bouleversement et la rapidité des mutations, Internet par exemple, je dois réserver mes efforts à un territoire plus restreint, je le déplore mais je l’assume.

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François Bon, divergence sur la Maison des Ecrivains.

Toute reproduction complète ou partielle de ce texte soumise à mon agrément, merci.


Je reçois aujourd’hui la lettre de la Maison des Ecrivains, qu’ouvre un éditorial de Jean-Michel Maulpoix, son président. Il est évident que me lie à Jean-Michel immense respect pour une oeuvre qui s’est tissée dans le temps en strict parallèle avec mon propre travail, et un dialogue exigeant et constant. Nous a rapprochés aussi le procès qui lui a été infligé, et pour lequel il a été condamné (et lui seul), après la diffusion sur son site du témoignage de Brice Petit, comme nous l’avions aussi fait à remue.net.

L’éditorial de Jean-Michel Maulpoix [1] concerne l’ensemble des adhérents de la Maison des Ecrivains, parce qu’il fait état, pour la première fois publiquement, de la crise ouverte que traverse cette association.

Elu au Conseil d’administration de la Maison des Ecrivains il y a deux ans, j’ai constamment demandé que les discussions qui traversaient ce CA soient portées à la connaissance des adhérents, je n’ai pas été entendu.

Le fait que l’association, représentative de ses 600 adhérents, n’ait pas jugé nécessaire de protester lorsque le ministère de la Culture et le ministère de l’Education nationale ont décidé d’exclure la littérature des attributions du « haut Conseil à l’éducation artistique et culturelle », j’aurais peut-être pu l’accepter — quelle que soit la forme de cette réflexion et de cette protestation, indépendamment des autres pétitions qui ont circulé — si au contraire la position adoptée n’avait pas été de trouver légitime ce silence. Surtout ne pas faire de bruit, mériter ce qui reste de subvention, et presque merci à Donnedieu de Vabres de nous rappeler à l’éthique de la littérature : il ne s’agissait pas de la spécificité éventuelle de la littérature dans les partenariats artistiques et culturels, il s’agissait d’un coup grave de plus pour nos budgets d’intervention, dans une logique globale de désengagement de l’État, et nous avons laissé faire.

Au point que lors du Salon du Livre la Maison des Ecrivains s’est hébergée sur le stand même du ministère de la Culture pour réfléchir, comme s’il en était temps, à la nature de ces interventions.

J’ai donc demandé au Conseil d’administration de la Maison des Ecrivains à ne pas renouveler mon mandat, et je suis depuis deux mois officiellement démissionnaire du CA : dans la lettre que je reçois ce soir, invitant à l’assemblée générale de l’association pour le 29 juin, et appelant au dépôt des candidatures (à noter que je reçois cette lettre le jour même de la date limite de dépôt pour ces éventuelles candidatures), il n’est pas fait mention de combien de mandats sont à renouveler et pourquoi.

Je veux simplement m’exprimer ici, sur mon site personnel, de ce qui m’a conduit à cette démission. Qui voudra lira, il ne s’agit ni de lettre ouverte, ni d’appel à débat : rien qu’une explication sur ce retrait.

Lorsque l’association a été fondée, il était question de nous rassembler, écrivains d’aujourd’hui, parce qu’impliqués dans ces actions, résidences, dialogue avec l’éducation nationale, problèmes liés à l’exercice de l’écriture (y compris dans leurs aspects techniques : la dérogation qu’a la Maison des Ecrivains pour rétribuer nos interventions sous forme de droits d’auteur, après le retrait du CNL de son conseil d’administration, combien de temps continuerons-nous d’en bénéficier ?). Aujourd’hui, la Maison des Ecrivains tend à devenir un opérateur parmi d’autres de l’offre culturelle à Paris et en Île-de-France, je ne me prononce pas sur cette orientation — au demeurant menée avec scrupule et exigence par l’équipe de la MdE et sa directrice — mais il me semble qu’elle mérite discussion de fond, à échelle de l’ensemble de l’association. Ce n’est pas le cas. Et le prochain déménagement de l’association, de la très feutrée rue de Verneuil entre ministères et éditeurs à un fond de rue bourgeois du 16ème arrondissement, risque de ne pas simplifier les tâches ultérieures.

Je préfère le retour à mes territoires personnels. Aussi, c’est trop de silence de mes camarades auteurs. Passivité globale de la corporation : on doit juger que certains prennent plaisir à militer, et que c’est déjà assez bien de les laisser faire. Nous avons été de trop de réunions, trop de conflits, pour maintenir vivants ces budgets en volatilisation accélérée : le Temps des Ecrivains à l’Université, géré par la Maison des Ecrivains, une réussite de fond (voir le livre La Langue à l’oeuvre sous la direction de Patrick Souchon), qui a complètement transformé le rapport des auteurs à l’université, a vu son budget fondre de plus de la moitié en trois ans. De 165 000 euros environ à moins de 80 000 (je suis prêt à rectifier si je me trompe), merci les Villepin et les Donnedieu de Vabres : c’est pourtant une somme bien modeste au regard de l’ensemble des dispositifs culturels. Même pas le prix d’un rond-point dans nos périphéries de villes de province.

J’ai dit à Jean-Michel Maulpoix, avant même le texte qu’il place en éditorial, combien cette distinction entre ceux qui exercent un autre métier et ceux qui, de la littérature, espèrent avant tout des ressources, par ce vocabulaire simpliste portait atteinte à des années de recherches, de dialogue, et des richesses inouïes de langue, partout où nous avons travaillé avec les facs de sciences, les écoles d’art, et tant de lycées, lycées professionnels, collèges. Si je parle d’Artaud ou de Michaux à l’école des Beaux-Arts, si nous faisons des séances d’écriture sur Perec ou Novarina avec des enseignants en stage, voilà qu’on contribue à la banalisation de la littérature. J’y voyais plutôt une question de survie.

J’arrête parce que je me sens mâché. Dans ces discussions, on a évoqué un temps ceux qui écrivaient par noblesse, et ceux qui écrivaient dans un but lucratif, ravalant toutes nos recherches à de l’animation. Ces propos, même retirés ensuite, sont blessants. Ce qui me mâche, c’est que — confrontés à une politique dure, rétrograde, diminuant agressivement les budgets, refusant le dialogue, désengageant l’État à un rythme accéléré, sans que les institutions territoriales soient prêtes à prendre le relais — les écrivains portent ainsi les coups les plus graves à leur propre condition. Je n’accepte pas ces prolégomènes qui séparent les écrivains (alors Bergounioux, Emaz, Bégaudeau, parmi d’autres enseignants-écrivains, écrivains-enseignants, et parce que leur métier traverse parfois leur tâche littéraire, sont de nature autres que des Michon, Echenoz, Bailly ou Vinaver, qui n’écriraient que par goût de lucre ?) en catégories selon qu’on enseigne ou qu’on pratique à côté radio, théâtre ou caméra et qu’on écrit quand même : c’est cela, l’impasse, la fausse discussion. Et cette tentative d’opposer les auteurs non-enseignants à d’autres qui seraient dépositaires légitimes d’un savoir concernant la transmission, ce n’est pas une erreur intellectuelle : c’est une faute grave, dommageable. La conséquence est déjà dans la désaffection des adhésions : les auteurs qui se heurtent à cette difficulté des chemins professionnels restent à l’écart de la vie de l’’association, et cela aussi fausse gravement le débat.

Il y a sans doute, dans cette crispation, la vague en retour d’une autre crise profonde. Je ne me sens pas responsable du déclin aggravé des facs de lettres, et de l’absurde division française en siècles de l’enseignement littéraire, pas plus que je ne me sens responsable de l’absurde éviction de la littérature des enseignements scientifiques, ou du rôle d’épouvantail qu’on fait jouer au bac français, avec une approche aussi techniciste et ringarde de l’enseignement que celle qu’on trouve par exemple dans les programmes d’agreg. Le rôle même de l’université, sa paupérisation, la masse d’enseignants qu’elle emploie et auxquels elle demande si peu rend cet écart grandissant un peu désespéré. L’hostilité que nous rencontrons semble proportionnelle à la potentialité de ce qu’il y aurait à faire, en disant que la littérature s’apprend en l’exerçant, comme la philosophie, et non pas depuis son commentaire.

Je regrette profondément, de mes dix-huit mois de participation au CA de la MdE, l’absence de débat collectif et de tout échange entre les réunions trimestrielles, le cloisonnement étanche entre le bureau de l’association et le reste du CA [2]. Au reste, tout cela dans l’indifférence quasi totale du reste de la communauté des auteurs. A l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais pas encore si j’assisterai ou pas à la prochaine assemblée générale de la MdE. Ces discussions faussées sont trop usantes, et — c’est strictement personnel, mais je n’y peux rien — je les paye nerveusement beaucoup trop cher. Je préfère m’appliquer à continuer, discrètement, là où on m’accepte dans une recherche qui m’est nécessaire au nom, justement, de la littérature et ce que j’y veux entendre et comprendre du monde. Est-ce qu’il faut voir dans cette crise d’identité dont parle Jean-Michel, en ces temps de mutation profonde et accélérée, que le modèle associatif devient lui-même obsolète par rapport aux modèles émergents, notamment Internet, et la nouvelle place prise par les CRL ?

Je réitère enfin mes remerciements à ceux qui, dans l’équipe de la MdE, organisent et soutiennent ces initiatives aujourd’hui remises en cause d’une façon complètement inédite, ravalées à une « mission sociale » ou un « service aux auteurs ».

Les 2 textes mis récemment en ligne : les auteurs et l’argent et c’est si dangereux les ateliers ? sont le prolongement de celui-ci. C’est dans le sein de la Maison des Ecrivains que doit avoir lieu cette discussion : je tenais cependant à faire état, pour mes confrères écrivains, pour ceux qui m’avaient fait confiance en me portant à ce conseil d’administration, ma tristesse et mon sentiment d’impuissance à cet éditorial par quoi les réponses sont données avant les questions.

Cette page n’a pas vocation à ouvrir discussion qui doit avoir lieu à l’AG de la MdE, elle n’est que la justification personnelle de mon départ, de mes regrets. Les adhérents de l’association sont en droit, sans doute, de demander quelques comptes sur les orientations, sur leur propre information : je serai bien sûr le premier lecteur de ces débats. Mais, en me retirant du conseil d’administration, je n’entends pas qu’on me mette à charge leur absence : les adhérents sont invités à participer à l’assemblée générale du 29 juin et y exprimer leur point de vue, si c’est ainsi qu’on aborde le fait qu’une crise est en germe, j’ai peur que ce soit insuffisant.

Prévenons la banalisation de la littérature, si on en parle trop dans les collèges, facs et lycée : là est le danger, nul doute ...

Photo : amphi à la Sorbonne, rencontre avec les étudiants en esthétique de Marc Jimenez, le 1er février 2002, dans le cadre du Temps des écrivains à l’université : heureusement qu’on ne compte pas là-dessus pour élever nos enfants !

[1Un extrait de l’éditorial de Jean-Michel Maulpoix, lettre de mai 2006 aux adhérents de la Maison des Ecrivains :
A quelques semaines de notre assemblée générale annuelle, il me paraît souhaitable d’évoquer brièvement la crise d’identité qui menace notre Maison, et de redéfinir les principales missions de notre association.
Il semble qu’aujourd’hui un fossé se creuse entre deux catégories d’écrivains.
Les uns ont un autre « métier » (souvent, ils sont enseignants) et n’attendent pas des livres qu’ils publient un revenu conséquent. Les autres s’efforcent tant bien que mal de « vivre de leur plume » et doivent souvent enchaîner pour cela les ateliers, bourses et résidences.
A l’évidence, ces deux catégories d’auteurs n’attendent pas exactement la même chose de La Maison des écrivains. La première y cherche la défense et illustration de son identité. La seconde en espère avant tout des ressources.
Nos activités, nos missions sont en cause. Une crise est là, en germe. Un vrai débat honnête et sincère doit s’engager pour dépasser les divergences.
Afin de demeurer ouverte à tous, La Maison des écrivains doit s’adapter aux réalités d’aujourd’hui sans trahir son identité.
Consciente de la précarité du monde des lettres, elle doit continuer de remplir une mission « sociale » de service aux auteurs (et donc favoriser leur implication dans la cité), tout en manifestant combien la littérature est un art d’une espèce singulière dont il appartient à chacun de prévenir la banalisation.

[2Je me fais un devoir cependant, pour en souligner l’exception, de faire figurer ici un extrait de ce courrier d’Anne-Marie Garat, vice-présidente, en retour à mon propre courrier de démission (seule réponse reçue) :
" Moins spectaculaire, mais visant le long terme, il y a notre action d’engager des partenariats concertés, dont les réalisations, une à une, manifestent un engagement concret. Nous en nouons avec la Région IdF, avec le musée du Louvre, avec le théâtre de l’Odéon, avec Paris-Bibliothèques, ou France-Culture, avec des CRL et des manifestations littéraires. Nous en projetons vers l’entreprise. Nous projetons des propositions vers les élus, Assemblée nationale et Sénat, pour toucher les conseillers culturels dont ils s’entourent, obtenir d’eux qu’ils entendent nos attentes... Ce sont des formules que la MdE n’avait jamais testées jusque-là, autant d’ouvertures inédites, vers de nouveaux publics, qui ne viennent guère dans nos murs, et même les ignorent...
" Quant à la convention trisannuelle signée avec le CNL, c’est une première. Egalement celle en cours avec l’Education nationale et la Culture, avec pour la première fois un financement contractuel à la clé. Une réunion est fixée le 22 mai, afin, pour la première fois encore, de mettre sur la table les attendus, jamais explicités, de la présence des écrivains dans l’école et dans la formation des profs. À nous de réfléchir aux attendus, et à nos exigences, de les faire valoir fermement.
" Soit, ce n’est pas assez encore. Mais cela se fait pas à pas, prend du temps en rencontres et concertations, en négociant et en affrontant les contingences multiples. Qui s’y était collé auparavant, de manière aussi systématique ? Ce n’est pas de l’autosatisfaction, loin de là, mais un constat objectif : nous avançons, plus que tu ne le dis.
" Oui, il y a bien un « projet global » de la MdE, mais pas sous cadre rigide : il est en chantier, programmatique et évolutif, avec une problématique soumise à discussion en permanence, pour trouver les réponses collectives en marchant. Notre association se condamne à terme si elle ne cherche pas de nouvelles modalités d’existence, dans le sens de l’exigence intellectuelle et artistique. Sa raison d’être et sa visibilité, sa crédibilité ne vaudront que par la cohérence des démarches entreprises [...]
" Double mission : maintenir un service aux auteurs, qui ne soit pas de simple exercice comptable ou d’aide sociale au coup par coup ; s’affirmer comme observatoire et lieu de valorisation de la littérature contemporaine. À chacun d’y contribuer à sa manière, sans jeter d’exclusive à priori, sans non plus de procès d’intention.
" Et, pour finir : je suis bien d’accord avec toi qu’il faut sortir de ce faux litige entre écrivains, ceux qui revendiquent de vivre de leur compétence ou expertise (je préfère ces termes à celui de métier), et ceux qui exercent d’autres activités. Il est bien clair que chacun à sa manière cherche à se donner les moyens d’exercer sa liberté d’écrivain : chacun y fait les sacrifices de son choix, qui sont mêmement respectables. Cet antagonisme récurrent nous épuise en conflits stériles, disperse une énergie, qu’il vaudrait mieux consacrer à l’action, dans l’intérêt commun : la crise est trop grave de l’édition en littérature, de la librairie, de l’éducation et de la politique culturelle, pour se perdre en rivalités de personnes, ou en vaines susceptibilités."
Anne-Marie Garat, le 7 mai 2006, extrait d’une correspondance privée, ce courrier avait été mis en copie aux membres du CA de la MdE, mais — à ma connaissance — n’a pas été accessible aux adhérents.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 juin 2006
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