#40jours #12 | comme un gravat dans la ville à côté des tilleuls en fleurs

Deux sacs à gravats pleins sur le bord du trottoir. Une poignée repose sur le côté. Seul un treuil mécanique peut les déplacer. L’enrobé bitumeux est déconstruit en blocs chaotiques. Morceau de la taille de la main à la largeur du big bag, d’environ un mètre. C’est plutôt un big bang, l’antre d’un plan fracturé, cassé de tous bords. Bien qu’emballé pour être tracté sur un camion – le big bag peut contenir jusqu’à 1500 kg – les débris font la guerre. Le maillage qui renforçait la solidité de la couverture dégueule du tas de plaques. Des fils synthétiques se hérissent, une végétation artificielle pousse. Les parois du big bag au bord de la déchirure excèdent, le ventre de déchets au bord de l’indigestion.

Non pas un arbre mais plusieurs, plusieurs allées de tilleul. Une multitude de petites lanternes jaunes se suspendent. Une symphonie de petits grelots odorants répand un parfum suave. Difficile d’imaginer ces arbres immobiles tant les houppiers foisonnent. La quantité folle de fruits chorégraphie. Une frisure, une mousseline légère, un tissu à triple fils tissée d’un premier rang de feuilles en forme de cœur, d’un deuxième rang de bractées vert tendre, jusqu’aux jeunes premières : les bouquets suspendus de pompons jaunes. Les branches principales s’inclinent vers le sol. La floraison brode ses frous-frous, ses dessous de branches ployantes.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

12 commentaires à propos de “#40jours #12 | comme un gravat dans la ville à côté des tilleuls en fleurs”

  1. Entre la végétation factice débordant du béton et la frisure des feuilles, le treuil mécanique qu’il faudrait pour soulever ce sac de gravats et la floraison de ce tilleul dont les bouquets explosent de couleurs, de de senteurs, sous le poids de ses branches, c’est toute une ville qui surgit en plan serré.

    • Merci Philippe ! Et merci d’être passé lire. C’est fascinant de faire parler tout ces détails.

  2. Merci pour ces deux textes qui se répondent vraiment bien. L’opposition gravats / tilleuls est perceptible dans l’écriture même. J’aime beaucoup ! Bravo !

  3. Très fin, précis, musical, j’aime bien la description des végétaux. petit conseil lecture si ce n’est déjà fait : Jean-Henri Fabre.

    • d’où vient d’ailleurs ce lexique du tissage ? Un goût personnel, ou c’est venu d’un coup sans aucun lien avec le quotidien ?

  4. Le mot « houppier » m’enchante… Et la présence des Tilleuls dans la Ville agitée, remuée , mise sans dessus dessous, mise à sac, mise en big bag, est une image qui calme et qui parfume au soleil. Sur la place Bellecour, à Lyon, les antiques marronniers devenus très malades ont été remplacés en partie par des Tilleuls. Cela m’enchante aussi. J’ai aimé à mon tour votre description et la juxtaposition de contraste.Juste le détail très miniature de la nature qui essaie de repousser sur un dégueulis de gravats montre qu’on peut renverser la donne facilement avec l’aide de la pluie si elle veut bien…Merci pour ce duo.