carnets individuels | Françoise Breton

  #26 – Quand les cris de gloire ont dévalé la rue, les boutiques ont tiré les rideaux de fer, le paysage avait raison de se cloîtrer. La rue s’est déployée toute incrustée de détritus dans une vaste détestation d’elle-même, on a brisé des abribus pour se trouver sans protection à ciel ouvert. Avec rien pour peser contre l’épaule. Ce qui craquait en soi, on pouvait en parler à travers cris. Moi je fixais le ciel de NOPE, cherchant la défaillance d’une ombre, alors qu’elle tuait dans l’immobilité d’un décor que n’aurait pas aimé ma rue : désert et désert, végétation rase sans le moindre bout de verre, mais heureusement de grands ballons gonflables ont eu raison de la bête. Car la bête recrachait tout, le plastique et le fer. On pouvait espérer renaître. La rue battait son plein jusqu’aux premières ordures.

#27 – Je me demande si au fond, la sœur de NOPE n’est pas le monde en pleine lumière. Ecoute la nuit dans la musique, déploie discours en forme de courses irrésistibles, irrite et tire sa cigarette comme on détecte son propre feu, instrumentiste de la bouche, la langue en crache le morceau, empiète sur le petit trot du monde, accélère la cadence, se brise en mille morceaux, fonce dans la peur. Pourtant elle travaille pas, pour tomber dans la joie et l’insouciance des premiers temps, vit chez le frère, vit l’intérieur, ville intérieure. Fait la voix pour le frère qui se tait, tapi contre la bête, écoute le cœur de l’animal. Non, je crois. Je crois que c’est le frère, c’est peut-être lui, mon double.

#28 – On déteste ruminer rabâcher ressasser. On déteste. On mange c’est nouveau. On avale des brouillards, Raging Bull sur le ring, les poings brandis dans le vide, cabriolant sur lui-même tel un cheval fougueux. Les pensées sont de même, des monstres planqués, embryonnaires, stupides, blobs libidineux, enveloppants et sourds. Il faut visiter les abords des gares, les arrière-salles, les sas d’attente, les locaux déshumanisés. S’asseoir, attendre. Attendre dans les yeux, paupières mi-closes, ne laissent passer le froid ni la douleur, ne pas boire pour ne pas ressasser. Parler la langue qui dévale, la course d’un cheval dans le désert.

#29 – Je regarde pas le match qui tambourine dans les cafés, la fenêtre grand ouverte dans le froid sous les trompettes de la discorde. Les yeux rivés au téléviseur, je cherche la bête de NOPE. Mes yeux formulent leur propre enquête. Remords : les personnages ont trouvé avant moi. Accélérant la cadence des images de surveillance, ils observent qu’un nuage ne bouge pas, sa forme inégale reste fixe dans le ciel. Ils en déduisent que la bête est tapie là-dedans. Je me dis qu’on aurait dû accélérer les images de nos vies, on aurait saisi la bête, sa cachette à vie dans nos vies. On l’aurait prise au collet, on se serait pas laissé faire. Mais à vivre au compte-goutte, on voit pas trop, la gorge serrée sans respirer, sans trop souffrir, on repère pas – la no-hope.

#01 – 9 novembre, chute du mur

aujourd’hui c’est l’anniversaire de mon frère, infirmier à l’hôpital d’Angers. Enfin lui envoyer un petit mot dense et enthousiasmant, rempli de notes de musique, sa guitare lui manque, le blues, du new orleans (il est allé là-bas), je sais qu’à cause de l’hôpital (un nombre incalculable de patients chaque jour, le speed total) il ne trouve pas le temps de jouer, et faudrait vraiment qu’on s’y remette ensemble. Il y a un studio d’enregistrement à Angers qui le tente, un ancien musicos de Magma l’aurait créé je crois. Demain, je vais tenter de faire chanter mes élèves : improviser un opéra déjanté sur « le dernier sursaut » de Vinaver, ils ne vont pas aimer, surtout qu’ils pourraient (oh l’idée soudain…) être filmés (!), juste une capsule video de 3 minutes, garder une trace de l’avancée du spectacle, expérimenter, d’anciens élèves viennent souvent au cours pour jouer aux assistants de mise en scène, ils pourraient filmer quelques scènes en passant, un soutien précieux car il est difficile de guider, orienter, et filmer en même temps, avoir ce regard extérieur détaché si nécessaire quand on filme…

en conduisant jusqu’au lycée j’écoute la radio, des émissions, des entretiens, et les mots de JM Jarre sur la musique intrusive m’ont interpellée : écrire sur ce phénomène, inventer au fil des jours une progression sur la musique, les sons déformés qui s’imposent à soi, déforment le paysage, reforment des ondes, se plient tout autour, et peut-être, créer une intrigue autour de ça – drôle de sujet

Le son, une délivrance

#08 – ceux qui, invisibles, étaient là quand

Brigitte Isabelle Camille Saint-Saëns Lili Louann Fleur Camille Saint-Jacques Valéry Larbaud Colette Inès Fatima Raja Virgile Bachelard Cassandre Coline Cléante Ancolie Glycine Glaïeul Mélanie Aglaé Lucile Elisa Caroline Luciole Aline Recoura Régis Aristophane je te salue ma soeur tous les Béruriers Noirs

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

28 commentaires à propos de “carnets individuels | Françoise Breton”

  1. Passée retrouver cette bribe hors du flux. Plaisir d’observation qui débouche en image poétique, plaisir de la voix avec mouvements d’incursions discrètes, regards parlants, signes de vie chaude. Merci !

  2. enfant rebelle et aimée, pour qui s’ouvrent les tiroirs, la ficelle en libre jeu, et le clin d’oeil qu’on lui adresse pour les films… comme j’aime cette scène qui confronte deux mondes, (ou plus) celui des coeurs directs et de la confiance en l’autre, et celui de la raison et des censures en son nom, magnifique le premier monde dont on explorerait bien d’autres instants, dans cette langue un peu trouée,

    • Chère Catherine, c’est toujours le plus pittoresque et sympathique qui affleure quand il faut parler des choses… le reste (le réel ?…) c’est une autre histoire
      un peu comme si la mémoire
      avait un peu de politesse avec nous-mêmes

      Hâte de te lire très bientôt
      et puis ce que tu dis sur l’écriture trouée, c’est super, c’est fou d’y avoir songé, parce que je n’aime que le rapiécé,
      rafistolé, bifurqué, traviole.. tu vois si juste !

  3. Je lis à partir du #20 et je suis emporté par un monde et une écriture qui virevoltent avec obstination et voltige. Et de repérer à l’ombre de quelques phrases certaines consignes envolées et posées là, sur une branche du décor. Emporté. Merci mille.

    • Mais quelle patience extraordinaire !! je crois que ce genre de tourbillon/introspection n’est pas vraiment possible dans un récit, serait trop rude pour le lecteur, alors ce format/carnet nous mène vers des voies poétiques qu’on n’aurait jamais soupçonnées… mille mercis cher Jean-Luc, grande hâte de découvrir également vos textes !

    • Un immense merci Jean-Luc, pour la patience le temps donné à lire, la générosité à écrire, boomerang à l’air libre… j’ai tant aimé votre message de colère, l’extrême précision du dire dans une voix pleine et ancrée pleine terre