Nous étions comme paralysés. Chacun de nos membres pourtant, du petit doigt à l’orteil, était parfaitement mobile. Nous avions beau nous agiter, nous n’avancions pas. Sur place restait la nuit. Nos bras faisaient des moulins dans le vide, nos genoux gigotaient. Sur la nuque une gêne nous encombrait et nos yeux pouvaient bien se tendre, ils ne rencontraient que le son aveugle des vagues. La marée ne montait toujours pas. Autour de nos chevilles s’amalgamaient des algues inertes qui formaient des poches où s’enfermait l’eau, mais nous ne pouvions glisser. La nuit nous retenait. De nos gorges un râle cherchait à s’élever, qui emplissait nos poumons de sel.
Soudain le pinceau du phare balaya le noir zénithal. Nous comptâmes. Le cône de lumière parcourut son arc de cercle, disparut et nous comptâmes. Reparut et la gêne à notre cou fit battre les secondes. Le rythme du temps s’était remis en route. La marée émit son grognement. Nos poitrines se soulevèrent dans une chaîne de douleur, il fallait avancer, l’un tirant l’autre jusqu’au dernier et jusqu’à la porte du phare, avant que le flux remplace le jusant. La pierre suintait dans l’escalier. De rares éclats se reflétaient sur le métal et les cristaux. De l’orteil au petit doigt, tous nos corps hélicoïdaux se murent dans un même engrenage, gravirent une vis sans fin pour la redescendre à l’envers tandis que sur la grève c’était au tour des autres de passer l’autre nuit figés –– à l’envers de la lumière.
que d’images fortes et somptueuses dans cette inversion du temps !
« la marée émit son grognement »
ou
« nos corps hélicoïdaux se murent dans un même engrenage »
salut et merci Laure !
« Autour de nos chevilles s’amalgamaient des algues inertes qui formaient des poches où s’enfermait l’eau, mais nous ne pouvions glisser. La nuit nous retenait. » merci pour ce beau et terrible texte