La place s’ouvre en éventail devant le port. Une terrasse géante, une accumulation de tables où on se montre. On étale les bijoux, les robes sont longues, parfois même dorées, les lunettes noires. Les cocktails colorent les verres, la boisson fait écran. Les conversations flottent, je n’entends rien. On imagine le vide en hiver, le vent qui traverse la place nue.
En étau entrant dans la ville depuis le cap. À gauche, le port, les ferries criards en attente, une file de voitures à l’arrêt. À droite la géographie terne, le petit centre commercial, la ville étagée en blocs, la découpe géométrique des balcons. Sur le visage, le bras à la portière le soleil tape trop fort déjà. Le lourd clocher de Notre-Dame de Lourdes qui semble chercher une place dans le décor.
Les corps rangés dans les chaises moulées de l’aéroport. Les tentatives d’échapper à l’attente, mastiquer des sandwichs triangulaires, remplir les cases de mots fléchés, fixer l’écran du téléphone. On regarde maintenant des séries entières sur cinq pouces de verre, casques miniaturisés dans les oreilles. Chaque siège contient son isolement. On observe des petits drames familiaux. Puis on entend la voix de l’hôtesse, capable de convoquer une foule.
C’était bien elle. Déjà elle frayait à travers les tables, avançait lentement, regard lointain. Elle était là avant nous, assise face à la mer tournait le dos au tumulte. Aucune de nous ne l’avait remarquée. Marie, Marie ! On a levé les bras, les verres. Elle a tourné la tête, a composé un sourire —poli, suspendu — elle s’est approchée. Il y a de l’ambiance ce soir, c’est fou ! Elle a acquiescé, oui c’est beau cette musique. Déjà son regard glissait ailleurs, par-delà nos visages, vers la mer. Elle était là sans être là. Une gêne. Mon cœur se serre. On pousse une chaise, on rit un peu trop fort pour effacer le flottement. Tu veux t’asseoir ? Tu te joins à nous ? On sourit, on manifeste l’envie d’agrandir le cercle. Elle fait semblant d’hésiter, formulant doucement ce qu’on devine déjà, J’avais juste envie de boire un Spritz face à la mer, j’étais assise là-bas. Sa main désigne vaguement l’autre côté de la terrasse. On comprend que c’est trop tard, trop plein, trop léger. Reste un peu. On tente de la retenir mais déjà son corps dit non. Une autre fois. Elle évite de nous regarder trop longtemps. Et déjà elle s’éloigne.
Toujours la délicatesse de tes descriptions, par petites touches bien choisies. Contente de te voir commencer aussi ce nouvel atelier. A bientôt !
« Elle était là sans être là. Une gêne. Mon cœur se serre. On pousse une chaise, on rit un peu trop fort pour effacer le flottement ». Le cœur des choses et rien d’autre. Si : une écriture d’une redoutable efficacité mais ce serait réducteur d’en rester là. Il y a cette sensibilité discrète, quelque chose qui vibre, sous la peau, et qui fait la beauté du texte.
oh merci, oui tout ça qui a été dit, et puis « Chaque siège contient son isolement.
Merci Laure, Serge, Lisa, va falloir tenir, merci pour vos mots qui m’encouragent.