A ce stade de la nuit, réveil en sursaut. Je me tourne et retourne dans le lit. Le sommeil s’est envolé. Insomnie. Pour ne pas me perdre dans mes pensées, j’allume la radio. Une voix que je reconnaîtrais entre mille. Des propos aussi. Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages. Moi si on m’ouvrait on trouverait des plages. Agnès Varda. Un long entretien sur France Culture. Je me berce de ses paroles. Ma pensée vagabonde.
A ce stade de la nuit, je me souviens que Varda est une compagne d’écriture. Elle la toujours pas loin, quand il s’agit d’écrire.
A ce stade de la nuit, j’entends “ Quand on a une plage dans la tête, on est pas complètement foutu. Les plages d’Agnès, c’est un petit bilan de mes 80 ans. J’inscris ce que j’ai déjà pu retenir, dans cinq ans peut-être que j’aurai complètement perdu la mémoire et je pourrai même pas le faire… Il y a cette énergie d’aller avec la vie comme elle est… J’insère des petits bouts de mes films, des extraits de témoignages de gens. Des photos de quand j’ai voyagé en Chine. Quand on le raconte comme çà, çà fait bric à brac, mais comme je l’ai monté avec deux chefs monteurs formidables, il me semble que j’ai trouvé une fluidité… dans ce déballage non contrôlé ”.
A ce stade de la nuit, une pensée me traverse. Écrire pour fabriquer des récits de son bric à brac intérieur.
A ce stade de la nuit, je l’entends parler de la Pointe courte à Sète, ce quartier populaire de pêcheurs : réfugiée-là en famille pendant la seconde guerre mondiale… Lieu de tournage de mon premier film, La pointe courte. Décider que ma nuit est terminée. Me lève. Attrape dans ma bibliothèque le dernier livre : Varda – La pointe courte, des photographies au film. Tourner les pages. Revoir les photos en noir et blanc, contrastées. Du linge sèche sur les cordes, vole au vent. Lire des annotations de Varda : – Avec le mistral qui s’est levé c’est déjà sec. – Si ça se lève plusse, j’en ai qui vont se déchirer, j’en ai qui sont neufs. Des pages d’albums de photos carrées de petit format. Regards de pêcheurs et charpentiers, constructeurs de barques, enfants courant dans les ruelles, femmes réparant les filets de pêche, photos d’outils, étang de Thau, barques pour les combats de joutes sur le grand canal…
A ce stade de la nuit, je pense écriture. Écrire c’est tisser des liens, tirer des fils, construire des ponts entre lectures films et la vie comme elle va.
Verso
Par une journée glaciale de janvier. Au programme l’exposition Agnès Varda à la cinémathèque. Le clou de notre séjour de quelques jours à Paris. Ce matin-là on a quitté notre location à 8h30. La veille, on avait appris qu’il n’était pas possible de laisser nos valises dans les vestiaires de la cinémathèque. La solution, les déposer à la consigne de la gare de Lyon. La gare pas trop loin de la cinémathèque, nous décidons d’y aller à pied. Le froid est vif, le ciel d’un bleu franc de janvier, le froid sec. Emmitouflées, nous avançons à grandes enjambées. De loin on aperçoit l’affiche de l’exposition, Viva Varda. Une Agnès jeune en noir et blanc sur un décor pop, de grosses fleurs violettes, oranges, bleues et vertes flashy. A son image. Rien n’est oublié dans l’expo : De-ci, de-là : Varda et les images ; Cinécriture ; Les familles d’Agnès ; Curieuse du monde ; Féministe joyeuse et libre, jusqu’à son œuvre de plasticienne et son dernier film Visages villages (2017) co-réalisé avec JR.On est ressorties de l’expo, joyeuses et requinquées, oubliant le froid, les horreurs du monde, avec juste des envies de se replonger dans le coffret de l’intégrale de ses films.
