La route en goudron ne permet le passage que d’une seule voiture en montant ou en descendant. Au bout il y a la mer derrière de gros rochers qui protègent l’Anse Dupuy de la violence du ressac par temps d’ouragans. Ils garent les voitures sur le parking. Le tracé se devine à peine. Etienne attendait déjà quand je suis arrivée. Geneviève a suivi. Le rendez-vous du dimanche pour nager est toujours accompagné de rires. Chacun se taquine un peu c’est le rituel. Geneviève parle de mentir pour des choses importantes, mais pas pour celles qui sont anodines. Elle répond à Denis qui vient d’arriver et se plaint en riant de nous entendre depuis le haut de la côte qu’il faut descendre pour rejoindre le petit port de pêche juste avant le bar de Jean baptisé le Terminus.
– Tu n’as pas pu nous entendre, surtout moi parce que j’étais dans la voiture quand tu es arrivé.
-Tu mens, lui répond Denis provocateur en riant
Elle s’en défend et explique qu’elle ne mentirait pas pour ça. Elle pourrait mentir, mais pour des choses importantes. Elle ne ment pas.
Geneviève était avec nous quand Denis est arrivé. Je voyais bien qu’elle était convaincue du contraire. Je n’ai rien dit.
Mes bras pénètrent la matière liquide l’un après l’autre. Le courant est favorable et j’avance avec aisance au-dessus du fond de la mer cinq mètres plus bas. Devant moi les battements des palmes de Denis brouillent ma vue. Un nuage de micros billes blanches me guide dans le bleu du parcours que nous faisons chaque dimanche de l’Anse Dupuy à Ti-Fontaine. Je nage au-dessus des rochers couverts de mousse marine. Parfois certains sont découpés comme les blocs d’une cathédrale dont les ruines seraient immergées depuis des millénaires. Un autre monde. Pour voir le bleu du ciel je dois lever la tête hors de l’eau. Je devrais le faire pour rectifier ma trajectoire et ne pas trop m’éloigner de la côte. Je préfère garder la tête baissée et m’en remettre à celui qui nage devant moi. Je dois forcer plus sur mes jambes et mes bras pour rattraper la traînée blanche qui s’est évanouie. Le fond de la mer a changé. Je nage dans le bleu total. J’espère une trouée de sable clair ou le vert du tapis d’algue qui annonce le passage juste avant la pointe Cocotier.
Dans l’eau le silence règne. Nous nous parlons par signe quand nous voyons une tortue ou une raie manta. Autrement, la seule chose qu’on entend c’est le souffle dans les tubas.
Merci Gilda pour ce moment dans le bleu de la mer au dessus des rochers
Beau texte où la précision jusque dans les détails donne le rythme de cette course au large que les mots subliment. J’aime la chute : « le souffle dans les tubas ». Merci Gilda.
Te voilà Gilda ! C’est fou de connaître si bien les lieux et d’y plonger en en lecture, de l’autre côté de l’Atlantique.
Merci à tous les trois pour votre lecture