Difficile pour moi d’écrire la #12, car je suis parasitée par les souvenirs de l’écriture de Fadia Nicé ou l’histoire inventée d’une vraie esclave romaine, où j’ai travaillé ces diverses strates de présent.
Le livre publié sous forme de roman graphique, avec les illustrations de Jean Cubaud, ne reprend qu’une partie du texte original. J’ai créé un blog pour expliquer ma démarche, mon cheminement dans un autre labyrinthe de « peut-être » : https://fadianike.blogspot.com/p/palimpseste.html
Je m’essaie quand même à la consigne, autour du projet en cours
Depuis que Coralie est entrée dans la salle centrale du musée du Châtillonais, depuis qu’elle tourne autour du « vase » – ils appellent ça un vase – dans sa cage de verre, depuis, des mots lui viennent, de toutes tailles, de toutes sortes. Elle ne comprend pas que le mot « vase » puisse être aussi grand qu’elle, que l’on puisse s’y cacher dedans, comme l’enfant sur la photo en noir et blanc qui pointe sa tête à ce bord gigantesque, pendant qu’on transportait le « vase » à peine restauré vers ce même musée. Qui sait si la frimousse espiègle et la tête coiffée au bol de cette photo ne sont pas celles du monsieur qu’elle a croisé avec sa canne et sa moustache, qui s’était arrêté regarder les éclats de lumière créés par le jeu du vent dans les feuilles des trembles, le long de la Douix, qui semblait regretter de ne pas être un chat pour les attraper. Vraiment, il aurait pu avoir cette tête-là. Une tête du pays. Coralie, elle, n’avait pas de tête en 1953. Que peut-on faire d’un temps où l’on n’existe pas ? Il a sa taille à peu près, le vase de Vix, « vase » elle ne s’y fait pas, elle dirait une cuve comme dans les caves à Epernay, ne serait-ce la frise sculptée, ne serait-ce surtout la différence d’éclat entre l’acier inoxydé où fermente le jus de raisin, et le bronze foncé de la panse convexe qui ne contient plus rien, quelques traces peut-être, la lie du temps. Les archéologues dans la voiture étaient tout heureuses de lui apprendre leur mot à elles : un cratère – pour dire un vase à grande bouche où les grecs mélangeaient l’eau avec le vin – le cratère de Vix est le plus grand du monde – Coralie y pense maintenant, ça leur était égal qu’elle apprenne quoi que ce soit, elles étaient tout heureuses de connaître le mot, d’avoir un mot à elles, de s’y reconnaître. Coralie aussi a des mots, des mots de son métier de banque et de finance, des mots spécialisés, on pourrait en faire une soupe dans le cratère, ça exploserait en geyser, retomberait en pluie d’argent, en poudre de lettres d’or.
Dans sa cage cubique de verre, dans son cube vitré, à peine surhaussé par un socle peu épais qui n’est pas destiné à être regardé mais uniquement à faire grandir le vase, le rendre plus haut qu’elle, pas beaucoup, mais plus haut, il bombe le torse, il la nargue, il lui envoie maintenant les mots « Graal » et « récipient », échos de soirées au coin de l’écran, où l’on réchauffait son âme à rires des salades de Kamelot. Est-ce que la princesse est plus ou moins celte qu’Arthur – c’était mille ans avant. Que peut une princesse qui n’a plus de nom, parce que les savants de son peuple – c’est ce que lui ont dit les archéologues – voulaient conserver leur pouvoir au moyen d’un savoir transmis à l’oral. Elles disaient, les archéologues, qu’il ne fallait plus dire les druides mais elles n’étaient pas d’accord entre elles et leurs mots s’emmêlaient. Ou bien Coralie n’a pas compris.
Beaucoup aimé ton texte Laure, la finesse, l’humour subtil, les détails et l’interrogation autour de Coralie et ce « vase ». Plaisir de te relire encore et toujours. Bon weekend.
Je suis touchée Clarence, merci ! Je réussis à suivre la cadence de l’écriture, par contre je ne suis pas arrivée à lire les textes des autres depuis un moment, désolée…